Aspasie : Maître ?
Zeuxis : Hmm ?
Aspasie : J’ai terriblement besoin d’aller uriner.
Zeuxis : Hmm… Clytie, sur le trépied.
Aspasie s’enfuit toute nue vers les latrines. Clytie monte sur le trépied et laisse le haut de sa robe descendre sur ses hanches.
Zeuxis : Mains sur la tête.
Clytie : Comme ça ?
Zeuxis : Dos droit, poitrine gonflée.
Proserpine, à Lamia : Comme Clytie a de beaux seins ! Les miens sont trop en pointe.
Lamia : Et les miens trop ronds… Le maître ne peint que mes mains.
Proserpine : Et moi, que mes pieds.
Lamia : Quelle chance tu as d’avoir de si jolis pieds !
Proserpine : Pas autant que toi. On regarde bien plus les mains que les pieds.
Lamia : Enfin… c’est Aspasie qui a le plus joli cul.
Proserpine et Lamia soupirent. Aspasie revient en trottinant, s’assoit sur sa robe posée sur la table.
Calliope : Ne t’assis pas, tu vas l’abîmer.
Les autres filles pouffent de rire.
Aspasie : Je me suis toujours assise dessus, et il n’a jamais cessé de plaire.
Clytie : Moi, j’aime être à quatre pattes. Je les laisse pendre et ils dansent à la moindre secousse…
Zeuxis : Silence, Clytie.
Calliope : Ils n’ont de forme qu’immobiles, quand tu lèves les bras.
Aspasie : Maître ?
Zeuxis : Hmm ?
Aspasie : Qu’elle est la plus séduisante partie du corps de la femme ?
Lamia : Les mains c’est si gracieux, si expressif !
Proserpine : Si les pieds sont laids, le reste ne peut être apprécié.
Calliope : Pour certaines, c’est leur gros cul.
Zeuxis : Tout ce que fait la nature est beau.
Aspasie : Vous n’avez encore rien dessiné du corps de Calliope. Qu’allez-vous prendre d’elle ?
Zeuxis : Son visage.
Aspasie : Mais elle fait tout le temps la gueule !
Proserpine : Clytie est bien plus jolie !
Lamia : Proserpine a des traits plus doux et Aspasie est comme une statue.
Proserpine : Et toi, Lamia, tu es belle comme une enfant
Zeuxis : C’est Hélène, femme de Ménélas, que je vais peindre. Elle doit être parfaite.
Calliope : Mon visage est parfait ?
Zeuxis : Pour que Pâris ait l’audace d’enlever la reine de Sparte et que Ménélas lance toutes les cités contre Troie, il ne suffit pas qu’Hélène fut la plus belle femme de Grèce. Car la beauté engendre le désir et l’amour, mais point la passion dévorante qui fait commettre aux hommes les pires folies.
Aspasie : Et que faut-il de plus ?
Zeuxis : Pour tourner à ce point la tête des rois, il a fallu qu’en plus d’être belle, Hélène fut sans conteste la plus grande des chieuses.
Illustration : Les cinq élues (Zeuxis à Crotone), par Edwin Longsden Long, 1885