Bonjour Titiou, vous êtes oracle, poëtesse lyrique et potinière au forum. Après avoir récité plusieurs harangues contre le mariage devant de nombreuses jeunes patriciennes, vous revenez avec un pamphlet intitulé Mon concubin et l’argent. Comment vous est venu ce réquisitoire ?
Dès l’enfance, les garçons reçoivent plus d’argent que les filles, auxquelles on offre plutôt des cadeaux : robes, bracelets, tuniques, esclaves… Par la suite, les hommes obtiennent des carrières rémunératrices : questeur, haruspice, consul, légionnaire, préfet, et cœtera. Leurs épouses sont obligées de se contenter des revenus du domaine, d’élever leurs enfants, filer la laine et se divertir. Il faut aussi compter tout le temps qu’elles doivent passer à superviser les serviteurs. On constate par ailleurs une tendance plus forte au concubinage, où l’homme reste libre de l’usage de son patrimoine. Ce système bénéficie toujours à celui qui a le plus.
Vous évoquez la « théorie du pot de yaourt » dans votre ouvrage. En quoi consiste-t-elle ?
Je prends souvent l’exemple d’Octavia et Marcus : Octavia n’a que la dot accordée par son père, elle en tire moins de rentes que Marcus ne touche de prébendes et, à l’arrivée du deuxième enfant, ils songent à changer de char. C’est Marcus qui achète le char et les chevaux ou les rembourse seul au prêteur. Pour compenser, Octavia lui prépare d’excellents yaourts au miel ou au garum. Au moment où ils se répudient, Marcus récupère le char qu’il a payé alors qu’Octavia n’a plus que les restes de sa dot, sa laine, ses domestiques et ses pots de lait caillé. Dans un couple, le plus petit revenu (la femme) est donc celui qui a le plus intérêt à s’assurer une sécurité économique : par exemple, pour l’achat d’un char, acheter les brides et les licols (quitte à moins faire de yaourts pour avoir le temps de choisir les bijoux équestres les plus luxueux possibles), afin de se constituer un petit patrimoine.
Selon vous, la nouvelle génération est-elle en train de casser les codes ?
À Rome, la situation des femmes va en s’aggravant parce qu’il y a un décalage entre la loi qui estime que les gens vivent selon les mos majorum, dans la communauté des biens, et la manière dont ils vivent réellement (en ne se mariant plus et en privilégiant le concubinage). L’écart entre les membres d’un couple continue de se faire au détriment des femmes. Les femmes font moins de tâches ménagères grâce aux esclaves mais ce sont toujours elles qui les prennent en charge. En revanche les mouvements comme #MeQuoque contribuent à une prise de conscience. Il faut déconstruire les stéréotypes virilistes !
Avez-vous constaté des contre-exemples à votre démonstration ?
En général, les concubines se reconnaissent beaucoup dans le théorème du pot de yaourt. Il y a évidemment des contre-exemples. Ma cousine Athenais m’a fait porter ce message : « Merci, je ne savais pas tout cela. Je vais hâter mon mariage. » Elle n’a pas compris… Je ne comprends pas.
Illustration : Danseuse ionienne, par John William Godward, 1902