— Hé, petit coquin ! Qu’essayes-tu de faire ?
— Rien d’extraordinaire. Je veux juste planter une flèche dans ton cœur.
— C’est très malpoli de faire des choses comme ça aux filles ! Tu devrais me demander d’abord si je le souhaite.
— Tu le souhaites ?
— Non ! Sûrement pas ! Quel petit effronté…
— Je n’ai pas l’habitude qu’on me résiste.
— Oh, le vilain ! Si jeune et déjà conditionné par la masculinité toxique. Ton éducation est à refaire, mon garçon. Comment t’appelles-tu ?
— Éros.
— C’est chou. Où est ta maman ?
— Devant moi.
— Devant toi ? C’est la meilleure, celle-là ! Je ne suis pas ta maman, Éros, je n’ai pas d’enfant.
— Pas encore. Tu en auras si tu laisses ma flèche percer ton cœur.
— Tu ne serais pas un genre de pervers narcissique ou de psychopathe ? Quel âge as-tu petit macho ?
— Je suis le dieu primordial de l’Amour. J’ai mille fois mille ans. Je tisse le fil de la vie chez les êtres sexués. Les humains me donnent du mal, plus que les autres espèces, par le plaisir qu’ils ont à nouer n’importe comment leur propre existence jusqu’à ne plus pouvoir la démêler.
— Ah ah ah ! Tu est complètement délirant.
— Parlons peu, parlons bien, car j’ai du travail ailleurs. Veux-tu l’Amour ou le refuses-tu ?
— J’adore l’Amour ! J’en veux tous les jours. Ce soir Alfred m’invite à dîner, demain Georges me promène en barque. Dimanche, Gustave m’emmènera au bal. Ah… Gustave !
— Il est bel homme.
— Oh oui, il l’est !
— Il a une volonté de marbre, l’esprit aiguisé comme l’acier et pour toi des sentiments du plus fin velours.
— Oui… Si dur et pour moi si doux.
— Il a du bien, de l’honneur et de l’avenir.
— Il a tout cela, oui. Et une excroissance fascinante entre la poche et la braguette de sa culotte d’officier.
— Ne veux-tu pas l’aimer pour de bon, cet excellent jeune homme, et libérer Alfred, Georges, Émile et Charles du souci de te plaire ?
— Je ne sais pas… Alfred a plus de raffinement ; Georges est fort comme une bête ; Émile m’amuse, il a tellement d’imagination ; et Charles héritera d’une belle fortune. Et puis il y a ce garçon aperçu à la fête de Gustave, un camarade de son régiment, le teint doré, qui parlait avec un accent étranger. Il m’a remarquée lui aussi. J’ai hâte de le connaître. Il me semble qu’il aura tous les attraits de Gustave et me fera rêver bien plus. Pourquoi me priverais-je de l’attention d’un homme ? Le prochain sera encore plus désirable. Je ne veux pas me contenter du premier venu.
— Il faudra bien choisir…
— J’ai le droit de ne pas choisir ! Je suis jeune et j’ai tant à jouir. Écarte cette flèche ou je te gifle.
— Fort bien. Je repasserai plus tard. Si aucun Jules ou Arthur n’a mérité ton cœur, il te restera encore des Sosthènes ou des Philigores. Et si ces braves hommes tolérants aux rides et au seins tombants ne t’agréent pas non plus, je cesserai mes visites sans te le dire. Je n’aime pas les adieux ; je me réjouis des noces, des baptêmes et des couples affectueux. À bientôt, Louise.
— Hé, comment sais-tu mon nom petite peste ? Où est-il passé ? Éros ! Éros ! Où es-tu, petit chou ?