L’Effrontée du mois de février 2025 : Anya

— Chef, regarde comme elle est bonne !

— Elle n’est pas vilaine, en effet.

— Pas vilaine ? Tu plaisantes ? Regarde sa peau… beaux cheveux… bonne croupe… Un peu maigre pour moi, mais toi tu aimes ça : elle est comme les statues dans ton jardin !

— J’aime mieux les statues.

— Oh ! Je ne te crois pas. Les statues, tu peux seulement les regarder. Elle par contre…

— Je ne suis pas le genre d’homme qui court après sa queue, Ibrahim. Que ferais-je d’une femme ? Je vis en paix avec mon fils adoptif et mes collections. J’ai cessé depuis longtemps de payer en querelles et en mauvaise humeur un bref soulagement physique.

— Celle-là, elle est gentille. Je te promets : elle n’a pas élevé la voix de Jérusalem à Carthage. Pas une plainte, pas un caprice…

— Jérusalem ? C’est donc une hébreu ? Ce sont les plus pénibles, me jurent mes amis hébreux.

— Non, chef, c’est une barbare du nord. Mon grossiste les achète aux Sarmates ou aux Alains quand ils ont des prisonnières. Il les rassemble en Bithynie puis les vend sur les marchés d’Orient : en Lycie, en Mésopotamie, en Judée…

— Ah ben bravo ! C’est du circuit court ça ? La pauvresse a déjà fait la moitié du tour du monde. Je ne veux même pas savoir combien vous en avez perdu en route…

— Mais qu’est-ce qui ne te plaît pas ? Elle est jeune, elle est fertile, elle ne te coûtera presque rien en nourriture et en vêtements.

— Ce qui ne me plaît pas… Comment te dire ? Autrefois je rêvais de n’être pour une femme ni un maître, ni un esclave. Je croyais à l’amour. Je croyais à la noblesse de l’âme. Je croyais même que le coït était un rite naturel par lequel deux êtres pouvaient atteindre au sacré.

Ibrahim, à son acolyte : — Qu’est-ce qu’il dit ?

— J’ai cru à tout cela. Avant de découvrir l’ignoble marchandage…

— Le marchandage c’est la vie, mon chef !

— Mariage, esclavage, c’est pareil. Que le Ciel me garde de toucher encore à l’un ou à l’autre !

— Pourtant on nous a dit que tu les collectionnes ! C’est pour ça que nous sommes venus jusqu’à toi…

— Quoi, moi ? Je collectionne les poteries raffinées comme celle-ci. Si vous voulez que nous fassions affaire, trouvez-moi une belle potiche, pas une… Ça y est, je viens de comprendre… Ne me dites pas que vous avez fait tout ce chemin en croyant que…

— On est désolé si c’est pas ce que tu veux. Si on avait su, il y a de très très belles poteries chez nous. La prochaine fois, sûr, on t’apporte les meilleures. La fille, si tu la veux, on te fait moitié prix. T’es pas obligé de la mettre dans ton lit. Elle peut décorer chez toi comme les statues, si tu préfères. Elle peut distraire ton fils, béni soit-il.

— C’est vrai qu’il aurait besoin d’apprendre les choses de la chair, pour ne pas les surestimer. Virginius ?

— Père ?

— Elle te plaît ?

— Je ne saurais dire…

— Ton pénis a-t-il pris du volume en la contemplant ? Ne ment pas.

— Je… J’avoue que…

— Alors marché conclu, Ibrahim. Mais ne reparaissez plus chez moi avec une telle marchandise. Le plaisir se paye toujours ; la félicité ne peut s’acheter.

Illustration : La séduction de la belle esclave au palais, par Henryk Siemiradzki, 1874

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