Marc Vanguard diffuse sur Twitter des éléments de statistique sur l’insécurité. Nous republions son travail sur les Effrontés dans l’espoir que cela nourrisse chez le lecteur une réflexion raisonnable et mesurée, au lieu des réactions émotionnelles si fréquentes sur ce sujet. — TB
Certes, il n’existe aucune mesure exacte de l’évolution des violences depuis les années 1970. Mais peut-on pour autant en conclure qu’il n’y a aucune hausse des violences ? Non.
Les chiffres bruts
Commençons par les chiffres. Les coups et blessures volontaires délictuels enregistrés par les forces de l’ordre ont été multipliés par plus de 10 depuis les années 1970.

Comme je le dis souvent, ces chiffres surestiment la réalité des violences, pour 2 raisons:
- Le périmètre de l’infraction s’est élargi depuis.
- La libération de la parole sur les violences conjugales influence la tendance à la hausse.
Mais ces deux effets sont très insuffisants pour imaginer que les violences aient stagné. Et ça se calcule. J’ai fait pour vous le travail que les apôtres de la stagnation de l’insécurité n’osent pas faire. En prenant des hypothèses très prudentes, j’ai tenté une estimation à iso-périmètre de l’évolution des coups et blessures hors cadre familial depuis 1972.

Les violences ont au moins doublé, et plus probablement triplé en une cinquantaine d’années. Je vous expliquerai plus loin tout le calcul.
Une parenthèse…
Mais avant cela, je souhaite vous alerter : le débat sur l’insécurité est pollué par des idéologues qui ne produisent rien. Leur argumentation limitée se résume souvent à censurer l’accès aux chiffres ou leur interprétation, prétextant que les quelques données disponibles sont imparfaites. Dans tous les domaines de la connaissance, on se heurte à des données complexes, voire incomplètes. Et on trouve des solutions, on arrive à dégager des tendances. Mais ceux qui clament qu’il n’y a aucune hausse des violences ne font pas ce travail.
La raison est simple : s’ils ont fait des études (exemple : sociologie), c’est justement pour s’élever au-dessus de toutes les croyances populaires. Or, admettre que l’insécurité augmente, c’est être d’accord sur au moins un point avec Dédé du PMU et avec le RN. Bref, l’anti-prestige intellectuel. Sous couvert de discours intellectuels, ces gens sont en réalité bien plus militants que mon compte X sans prétention. Je n’ai, moi, aucune réticence à dire que la délinquance totale n’augmente pas, même si ça va à l’encontre d’idées répandues parmi mes abonnés. Mais les violences augmentent.
Désolé pour cette longue parenthèse. Entrons dans le détail du calcul.
Neutraliser les évolutions démographiques, sociales et statistiques
L’objectif du calcul est de neutraliser trois effets dans les données :
- La croissance démographique
- La libération de la parole
- Les évolutions de périmètre

La croissance démographique
Nous sommes passés de 26 millions d’habitants dans la tranche 20-59 ans au début des années 1970 à 32 millions aujourd’hui (France entière). En retraitant cet effet, la hausse des coups et blessures ne serait plus que de +1.000% au lieu de +1.400%.

La libération de la parole
Ce n’est un secret pour personne, les victimes de violences conjugales portent plus facilement plainte que par le passé, et c’est tant mieux. Pour neutraliser cet effet, je suggère une solution radicale : exclure du périmètre les violences intra-familiales. C’est facile pour 2023, car on sait qu’elles représentent 55% du total des coups et blessures déclarés. C’est en revanche plus compliqué pour 1972, mais on peut le faire en prenant des hypothèses.
Première hypothèse : on va supposer ici que la prévalence des violences famililales est stable depuis les années 1970. C’est bien sûr faux : la consommation d’alcool par habitant a été divisée par deux et la population est bien plus sensibilisée sur les violences conjugales. Mais la démarche du calcul est justement de prendre des hypothèses (excessivement) prudentes, pour voir si malgré tout, on observe une hausse des violences en tendance longue.
Les chiffres ministériels permettent d’estimer la prévalence des violences familiales aujourd’hui :
- 213.000 actes déclarés (Interstats Analyse n°64)
- Avec un taux de plainte de 34% (enquête Genese 2020)
Ramené à la population des 20-59 ans qui nous sert ici d’étalon (32 millions), on a : 1,9%.
Deuxième hypothèse : le taux de plainte pour violences intrafamiliales en 1972. Est-il 2 fois, 4 fois, 10 fois plus faible qu’aujourd’hui ? Dans le doute, j’ai pris un taux TRENTE fois plus faible. Toujours dans la logique de ne prendre que des hypothèses ultra-prudentes. Par la suite, je signalerai avec une * les autres hypothèses pour lesquelles je proposerai à la fin une hypothèse encore plus prudente. Par exemple, une simulation avec un taux de plainte CINQUANTE fois plus faible (même avec cette hypothèse, les violences doublent !).
En repartant de nos 26 millions de 20-59 ans en 1972, si on applique une prévalence de 1,9% avec un taux de plainte 30 fois plus faible que les 34% actuels, on tombe sur environ 5.500 violences intrafamiliales déclarées en 1972.
Récapitulons. Les chiffres des coups et blessures volontaires déclarés, retraités de l’évolution démographique, en excluant les violences familiales sont donc :
- 1972 : environ 20.400
- 2023 : 140.000
Une augmentation d’environ +550% à +600%, contre +1.400% dans les chiffres bruts.

L’évolution du périmètre
Enfin, il reste le plus long : estimer les coups et blessures volontaires déclarés en 2023 si le périmètre délictuel était resté le même qu’en 1972. Car oui, le périmètre a évolué. Je vous résume : les coups et blessures volontaires délictuels en 1972 ne concernaient que les violences :
- Ayant entraîné au moins 8 jours d’Interruption Temporaire de Travail (ITT)
- Commises avec usage ou menace d’une arme
- Préméditées
Depuis, le périmètre s’est élargi. En 2023, les coups et blessures volontaires incluent aussi des violences ayant entraîné 0 jours d’ITT, si elles ont certaines circonstances agravantes. Par exemple : commises dans les transports, accompagnées d’insultes racistes, etc.
On va donc « détourer » le périmètre de 1972 sur les violences de 2023. Pour cerner le périmètre des données 1972 sur les données 2023 on va procéder en trois temps :
- Violences à 8 jours d’ITT
- Violences avec armes hors 8 jours d’ITT
- Violences préméditées hors cas précédents
Tout d’abord, seules 8% des violences déclarées donnent lieu à 8 jours d’ITT d’après le Ministère de l’Intérieur (Interstats Info Rapide n°39, juillet 2024). Pas étonnant : un trauma crânien simple, ou une côte cassée donnent moins de 8 jours d’ITT.
Maintenant, on va estimer le pourcentage de violences avec armes. Le dernier chiffre disponible est accessible dans la note n°40 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP, novembre 2019) : une arme est utilisée dans 18% des cas d’agressions, que celles-ci soient ensuite déclarées ou non. Mais qu’en est-il parmi les violences déclarées ? Le même rapport nous apprend que 33% des personnes ne se déplaçant pas en commissariat (75% des victimes) jugent que l’agression n’était « pas grave ». Excluons ces 33% × 75% = 25% de violences jugées « pas graves ». On tombe ainsi sur 24% d’agressions avec arme sur le reste du périmètre.
Parmi ces violences, ce pourcentage est logiquement supérieur dans les violences déclarées que celles non-déclarées. Supposons 30% des violences déclarées commises avec une arme (* simulation avec 24% en fin de billet). Mais attention, ce 30% ne peut pas être ajouté aux 8% de violences avec 8 jours d’ITT, car une partie de ces dernières ont été commises avec une arme. Quelle proportion ? Cette fois-ci, aucune donnée ne peut nous éclairer dans le choix de l’hypothèse. Ici, on va supposer que parmi les 8% de violences commises avec 8 jours d’ITT, 50% ont été commises avec l’usage ou la menace d’une arme contre 30% dans l’ensemble des violences déclarées (* simulation avec 66% au lieu de 50% en fin de billet). On doit ainsi soustraire 4 points à nos 30% précédents. Récapitulons : 8% des coups et blessures volontaires déclarés avec 8 jours d’ITT + 26% des coups et blessures volontaires déclarés avec usage ou menace d’une arme = 34%.
Il reste à y ajouter les actes prémédités hors cas de figures précédents. Environ 40% des homicides sont commis avec préméditation, mais on peut penser que ce taux est plus faible pour les agressions. Difficile de savoir précisément, prenons ici un taux de seulement 10% (* simulation avec un taux 2 fois plus faible en fin de billet). Récapitulation : le pourcentage des coups et blessures volontaires déclarés hors cadre familial en 2023 correspondant au périmètre de 1972 peut être estimé à 8% + 26% + 10% = 44%.
Multiplions maintenant nos environ 140.000 trouvés plus haut par 44%. On trouve ainsi environ 60.000 coups et blessures volontaires en 2023 :
- Retraités de l’évolution démographique
- Hors cadre familial
- Dans le périmètre de 1972
Contre environ 20.400 en 1972.

Conclusion
Même avec ce jeu d’hypothèses très prudentes, on obtient une multiplication par 3 des violences hors cadre familial depuis les années 1970. Bien sûr, c’est une estimation qui n’est pas un chiffre exact. Le fois 3 est peut-être en réalité un fois 4… ou un fois 2, même si ce cas de figure semble moins probable. D’ailleurs, voici la simulation avec un jeu alternatif d’hypothèses d’une prudence délirante.
Hypothèses de cette deuxième simulation :
- Taux de plainte pour violences familiales 50 fois plus faible en 1972 qu’aujourd’hui (!)
- Part des violences avec arme homogène parmi les violences « non-graves », qu’elles soient déclarées ou non-déclarées au forces de l’ordre (24%).
- Alors que la part totale des violences avec armes dans les coups et blessures volontaires déclarés est de 24%, ce taux s’élève à 66% pour les violences avec ITT de 8 jours ou plus (!) [Note : plus on passe de violences avec armes dans la catégorie des ITT d’au moins 8 jours, plus on réduit le chiffre estimé des violences ayant entrainé moins de 8 jours d’ITT.]
- Seuls 5% des coups et blessures volontaires sont prémédités (!)
Résultat : malgré ces hypothèses d’une prudence sûrement excessive, les violences hors cadre familial auraient doublé depuis les années 1970. Et je rappelle que l’effet de la croissance démographique a déjà été neutralisé !

D’ailleurs, même si les violences étaient stables, ce serait déjà alarmant alors que :
- Le niveau de vie moyen a doublé depuis les années 1970
- La conso d’alcool par habitant a été divisée par 2
- Le pourcentage de sorties précoces du système scolaire a été divisé par 5
La hausse des violences est donc contre-intuitive et probablement multi-factorielle. Certes, l’accueil massif d’immigrés issus de pays pauvres fait partie des facteurs potentiels, mais il y en a d’autres. Au premier rang desquels figure l’urbanisation.
Même si je l’ai déjà dit : il s’agit ici d’estimations. N’allez pas dire : « Marc est certain que les violences ont augmenté de +194% depuis 1972. » Ce dont je suis à peu près certain, c’est qu’il y a une hausse des violences. De combien de pourcents ? Je n’en sais rien.