Quelle chaleur ! Je suis cuite… Je crois que je vais dormir par terre cette nuit. À plat ventre sur le marbre, si la touffeur persiste. Qu’en dis-tu Juju ? Tu n’as même plus la force de voler, il faut que je te porte. Comment ? Que demandes-tu ? Pourquoi fait-il si chaud ? Je te l’ai déjà expliqué : l’air est échauffé par l’activité des hommes. Chaque légionnaire occupé à taillader du barbare, et chaque barbare poinçonnant du légionnaire fait beaucoup trop de chaleur. Chaque galérien agitant sa rame et chaque laboureur poussant sa charrue ajoute à cet excès calorifère sa propre fournaise masculine. Les artisans et les commerçants courent et jacassent tant et plus dans les villes, raison pour laquelle il faut fuir Rome en été. Les esclaves des villas font semblant de servir avec une grande agitation, de même les patriciens au sénat. C’est ainsi que le monde se réchauffe, Juju : c’est la domination des hommes sur les champs, les forêts, les mers, les mines et les monts. Tout cela pour nous dominer, nous, les femmes, en faisant étalage de leurs richesses. Ainsi ma mère Athenais dû se résoudre à épouser Æmilius : car il faisait fort bien suer cent officiers et mille esclaves, en suant beaucoup lui-même, si bien qu’il fallait être sa femme pour tenir un rang digne d’elle. Moi, Æmilia, je te le dis : je n’ouvrirai point mes cuisses à un besogneux, fut-il consul ou César. Maintenant, Juju, rends-moi service : va, vole jusqu’à la culina, et dis aux serviteurs que je dînerai au bord de l’impluvium. Et… qu’il faudra m’y porter. Je n’ai pas la force de me porter moi-même.
Illustration : Dolce far niente, par John William Godward, 1897