— Quel est ton favori, Suzanne ?
— Mmm… Qu’en penses-tu, toi ?
— Le coq noir est jeune et vigoureux. Il manque d’expérience mais veut faire régner l’ordre dans la basse-cour, expulser les rats et les fouines…
— Oh non, Armand ! Les pauvres fouines ! Pourtant, j’ai peur des rats.
— Le coq brun est vieux, jaloux et pousse des cris épouvantables. Je crois qu’il est sénile, je l’ai vu couver.
— Comme c’est gentil !
— C’est-à-dire qu’il prend les œufs des poules, les réunit en tas sous lui et les garde comme s’il s’agissait d’un trésor.
— C’est un papa-poule !
— Plutôt un rapace raté.
— N’as-tu pas aussi un coq gris ?
— Ce n’est pas un coq, voyons, c’est un chapon ! Il n’a pas le tempérament combatif, bien qu’il pèse lourd dans la vie de la basse-cour. Alors : le noir ou le brun ?
— J’hésite… Le noir me fait un peu peur, mais j’avoue qu’il est plus beau. Le brun fait des bêtises. Enfin… nous y sommes habitués. Choisis, toi !
— J’hésite aussi. Ah ! Si le noir était plus docile… Si le brun ne se prenait pas pour une poule… Si le chapon avait des testicules… Et bien faisons-les se battre, et que le meilleur gagne !
— Armand ?
— Oui, Suzanne ?
— Tu te battrais pour moi ?
— En échange de quoi ?
— Mais pour rien ! Par amour pour moi.
— J’hésite, poulette.
— Oh, ça ! Tu es donc moins brave qu’un coq ?
— Je sais bien comment ils finissent, vainqueurs ou vaincus : dans la casserole. Les petites poules aussi. C’est moi qui les cuisine et les mange.
Illustration : Jeunes Grecs faisant se battre des coqs, par Jean-Léon Gérôme, 1846