Daniela Greene, l’agente du FBI qui épousa un terroriste

La scène se passe dans un bureau du FBI à Detroit. Rien d’excitant, juste une employée remplissant un formulaire de voyage à l’étranger pour ses prochains congés. Daniela Greene est une jeune femme blonde et mince, née en Tchécoslovaquie, élevée en Allemagne et naturalisée en épousant un militaire américain. Étudiante modèle, linguiste, parlant parfaitement l’allemand, elle travaille depuis trois ans pour le Bureau fédéral des enquêtes. Elle indique son intention d’aller en Allemagne, où réside sa famille, et coche la case « vacances/motif personnel ». Son superviseur à Indianapolis approuve sans hésitation. Daniela est un excellent élément, recrutée selon les procédures très strictes de la maison et habilitée à consulter même des documents top secret. Elle a bien mérité ses vacances auprès de sa famille, en Europe.

Elle part le 23 juin 2014. Escale à Toronto, puis vol transatlantique jusqu’à… Istanbul. De là elle se rend à Gaziantep, à une trentaine de kilomètres de la frontière turco-syrienne, et entre en Syrie avec l’aide des réseaux islamistes. Enfin, elle rejoint l’homme dont elle surveillait les communications : Denis Mamadou Gerhard Cuspert. Né en 1975 d’un père Ghanéen expulsé avant sa naissance et d’une mère allemande, sa mère s’est mariée avec un officier américain tandis que Denis entamait précocement une double carrière de délinquant et de rappeur sous le pseudonyme de Deso Dogg. En 2010 il se convertit à l’islam, prend le nom d’Abou Maleeq et devient un fervent propagandiste du djihadisme, encourageant le terrorisme sur le sol allemand. Arid Uka, l’auteur de l’attentat de l’aéroport de Francfort en 2011, se revendique de son influence. Malgré la surveillance des autorités allemandes, il réussi à partir pour l’Égypte et rejoint le Front Média Islamique Global, une succursale d’Al-Qaïda. En 2013 il réapparaît en Syrie sous le nom de Abu Talha Al-Almani, se joint à l’État islamique et participe aux opérations contre l’armée syrienne. Il apparaît dans de nombreuses vidéos de recrutement destinées à séduire un public de germanophones avec un profil similaire au sien : le goût de la violence. C’est à ce point de sa biographie que Daniela le rejoint ; elle a menti à sa hiérarchie et traversé l’Atlantique pour l’épouser.

À ce stade, vous trouvez peut-être que tout cela forme une intrigue de roman à peine crédible. Je ne peux vous blâmer d’être une personne raisonnable, s’attendant à un comportement rationnel de la part d’une citoyenne américaine adulte occupant un poste assorti de quelques responsabilités. Hélas, rien n’a été inventé. Tout ce que je vous raconte est tiré de documents judiciaires portés tardivement à la connaissance du public par le travail rigoureux des journalistes de CNN.

Mais revenons à Daniela. La voilà au fin fond de la Syrie en guerre, mariée avec le criminel-rappeur-terroriste de ses rêves (son mari américain n’est pas encore au courant). Très vite, l’illusion amoureuse se dissipe. Dès le 8 juillet, elle écrit à un contact aux États-Unis : « J’ai été faible et je ne savais plus rien gérer. J’ai vraiment fait un gâchis cette fois. » Un mois plus tard elle s’échappe (on aimerait savoir comment mais les documents publiés ne le précisent pas), rentre aux États-Unis et le FBI l’arrête à la descente de l’avion. Son arrestation, l’enquête et le procès sont gardés secrets jusqu’en mai 2015. Une partie des documents est alors déclassée, mais sans publicité. Habituellement le Département de la justice communique triomphalement ses succès dans la lutte contre le terrorisme islamique, mais pour l’affaire Daniela Greene ce fut le silence.

C’est seulement en 2017 qu’une équipe de CNN découvre l’affaire et la rend publique. Et ils vont de surprise en surprise : deux ans après le procès, Daniela est déjà sortie de prison. Interrogeant le Département de la justice sur la clémence surprenante du tribunal, il leur est répondu que la sentence est « alignée » avec les affaires similaires, compte tenu de la bonne coopération de l’accusée avec la justice et les services de renseignement. Mais les journalistes restent sceptiques :

Même les tentatives infructueuses de se rendre en Syrie et de rejoindre l’État islamique ont valu aux accusés des peines de prison beaucoup plus sévères. Les Américains condamnés dans des douzaines de poursuites récentes de l’État islamique ont reçu une peine moyenne de 13 ans et demi de prison, selon une analyse réalisée en avril par le Centre sur la sécurité nationale de l’université de Fordham.

Scott Glover, « The FBI translator who went rogue and married an ISIS terrorist », CNN Investigates, 2017

De son côté, Shawn Moore, l’avocat de Daniela, a déclaré à la presse : « Daniela est une femme intelligente mais naïve qui s’est fourrée dans quelque chose qui la dépassait de beaucoup. » Shawn, il ne s’agit pas d’une adolescente. Elle avait 34 ans au moment des faits, une maîtrise d’histoire, travaillait au FBI et avait une habilitation top secret. Il faut trouver une autre explication, mon vieux — dirait OSS 117.

Daniela a eu des contacts avec Denis Cuspert bien avant de partir en Syrie, par Skype. Que se sont-ils dit ? J’aimerais bien le savoir, parce que Denis devait être un tchatcheur de première force pour réussir à séduire une femme du FBI à 10.000 kilomètres de distance. Comme les gardiennes de prison tombant amoureuses d’un détenu, Daniela Greene est une hybristophile, c’est à dire une femme attirée par les hommes manifestant un haut potentiel de violence. L’hybristophilie est l’expression extrême d’une composante normale du désir féminin. « Oh, mais c’est juste un cas hors-norme ! », me direz-vous. Et bien, le rapport du Centre international d’étude de la radicalisation du King’s College estime à plus d’une centaine les femmes de l’État islamique en provenance du continent américain, et à plus d’un millier celles venant d’Europe de l’Ouest. L’examen des cas médiatisés permet de constater qu’une partie d’entre elles portent des patronymes ne suggérant aucun lien familial ou culturel avec le monde musulman. Par exemple : Émilie König, française, élevée par sa mère, enceinte à 21 ans d’un trafiquant de drogue et convertie à l’Islam, puis compagne d’un djihadiste Nîmois qu’elle alla rejoindre à Alep. Comparez les « fiancées de l’État islamique » aux amoureuses des criminels et voyez par vous même.

Qu’est-il advenu de Daniela après sa sortie de prison ? Il semble qu’elle travaille comme réceptionniste dans un hôtel. Son mari a divorcé. Elle refuse de répondre aux journalistes pour éviter d’exposer sa famille. Denis est mort dans un bombardement des Forces démocratiques syriennes en 2018. La presse allemande lui connaît au moins trois enfants de trois femmes différentes. Si vous croyez que la criminalité est purement le produit de circonstances sociales défavorables dans la vie d’un individu, vous pouvez dormir tranquille en pensant que ces enfants auront plus de chance en Europe qu’en Syrie. Mais si vous songez qu’il y a peut-être une composante génétique aux comportements violents et une hybristophilie latente en chaque femme… Nous avons de quoi faire bien des cauchemars.

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