Darel E. Paul est professeur de Science politique à l’université de Williams au Massachusetts, États-Unis. Cet article a été publié dans le magazine en ligne Compact (compactmag.com) en mai 2025. — TB
Les décideurs politiques et les analystes occidentaux pensent que l’immigration est la solution au problème de la faible natalité. Si les autochtones ne produisent pas assez de la prochaine génération, le manque devra simplement être importé. Cette « idée de bon sens » surgit chaque fois que la question des restrictions à l’immigration revient. Les pays à faible fécondité, dit-on, ont besoin de niveaux élevés d’immigration pour éviter le déclin de la population, le vieillissement rapide et la décrépitude économique.
Mais l’expérience récente de la Tchéquie jette un doute sur ce « bon sens ». L’immigration, en particulier à des niveaux suffisamment élevés pour changer la démographie, n’est pas une solution au déclin démographique, mais plutôt son accélérateur.
Dans les années 1990 et au début des années 2000, la République tchèque a connu une crise démographique post-communiste typique. Entre 1995 et 2002, la population du pays a diminué chaque année. Entre 1994 et 2005, le nombre de décès a dépassé celui des naissances, tandis que l’indice synthétique de fécondité du pays — une projection du nombre d’enfants qu’une femme moyenne vivant aujourd’hui aura au cours de sa vie — s’est effondré de 40 %. À l’époque communiste, le taux de fécondité de la Tchécoslovaquie avait toujours été supérieur ou proche du taux de remplacement. Sous le capitalisme démocratique, cependant, elle est tombée à des niveaux que les démographes qualifient de « plus bas du bas » (moins de 1,3) pendant 11 ans.
Un remarquable renouveau démographique s’est ensuite produit. Le taux de fécondité de la République tchèque est sorti de la zone la plus basse en 2006 et a atteint 1,83 en 2021, un rebond parmi les plus importants jamais enregistrés. Même le covid n’a pas pu l’arrêter. En 2021, le taux de fécondité du pays était supérieur à celui de la France, champion traditionnel de la fécondité en Europe [NdT : mais nous trichons, en naturalisant une grande partie de notre immigration]. Après 12 années de décroissance naturelle de la population, suite à la fin du communisme, la Tchéquie a connu plus de naissances que de décès au cours de 11 des 13 années suivantes. Les médias nationaux ont parlé de « baby-boom tchèque ». Les observateurs ont attribué ce revirement à une révision de la politique familiale au début des années 2000. Les parents ont bénéficié de davantage d’allocations de l’État, un élargissement des parts fiscales des enfants, un système plus souple de congé parental et un soutien accru de l’État aux traitements de fécondation in vitro. Le pays est devenu un modèle de réussite.
L’effondrement de la fécondité
Puis le baby-boom s’est effondré. En 2022, le nombre total de naissances a chuté de 9%, suivi d’une baisse de 10% en 2023 et d’une autre de 7,5% en 2024. En trois ans seulement, les naissances et la fécondité ont chuté de 25%, un effondrement aussi important et rapide que celui qui a suivi la fin du communisme. L’an dernier, l’indice synthétique de fécondité de la République tchèque n’était que de 1,37, ce qui représente un renversement presque total de la reprise de la fécondité dans le pays. Le déclin naturel de la population a repris et a atteint en 2024 son niveau annuel le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale.
Contrairement à l’effondrement de la fécondité dans les années 1990, l’effondrement actuel n’a pas été causé par la dépression économique. En fait, le PIB réel tchèque a augmenté de 4% depuis 2021, un rythme respectable pour l’Europe centrale. Il a plutôt été causé par l’immigration de masse.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a entraîné une vague d’immigration historique dans toute l’Europe centrale, mais nulle part ailleurs n’a-t-elle été aussi spectaculaire qu’en Tchéquie. Selon l’Office statistique tchèque, 350.000 immigrants sont entrés dans le pays au cours de la première année de la guerre, un chiffre qui équivaut à 3,3 % de la population du pays à l’époque. Selon les chiffres de l’Union européenne, le pays a accordé une protection temporaire à près de 460.000 personnes en 2022, soit un chiffre encore plus remarquable de 4,4 % de la population nationale. Le solde migratoire est resté élevé en 2023. En mars 2025, la Tchécoslovaquie comptait le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens en pourcentage de la population de tous les pays de l’UE, soit plus de 20% de plus que la Pologne, qui arrivait en deuxième position.
Bien entendu, presque tous les pays de l’Union européenne ont aujourd’hui un taux de fécondité en baisse. Il serait erroné de conclure que l’effondrement de la fécondité en République tchèque est uniquement dû à l’immigration de masse. Pourtant, aucun pays n’a connu une baisse absolue de la fécondité depuis 2021 plus importante que la République tchèque (et seule l’Estonie a connu une baisse relative plus importante), et aucun pays n’a connu une inversion de la fécondité aussi brutale que celle de la République tchèque. Même si les chiffres de l’immigration nette ont baissé à partir de 2022, ils restent deux à trois fois supérieurs à leurs niveaux d’avant 2022. La baisse de la fécondité ne montre aucun signe d’arrêt.
Une causalité complexe
Le lien de causalité entre l’immigration de masse et la baisse de la fécondité des autochtones est quelque peu mystérieux. L’hypothèse la plus répandue est celle d’un effet sur le logement. Certaines augmentations du prix des logements ont des effets négatifs sur la fécondité, et un certain nombre d’études menées aux États-Unis montrent que les flux d’immigrants font grimper les prix des logements à court terme. Des recherches sur le Mariel Boatlift [NdT : période d’immigration massive des cubains aux États-Unis] de 1980 ont montré qu’une augmentation de 7% de la population active de Miami en un an a entraîné une augmentation réelle de 8 à 11% des loyers qui, à son tour, a provoqué un effondrement de la fécondité sur trois ans atteignant 14% parmi les locataires de la ville. Dans le même temps, les propriétaires de Miami n’ont pas connu de baisse de fécondité, et d’autres recherches menées aux États-Unis et au Canada ont montré qu’une augmentation de la richesse immobilière chez les propriétaires peut en fait accroître la fécondité au sein de ce groupe. Les prix de l’immobilier tchèque ont certes augmenté en 2022, mais pas plus fortement qu’au cours de la période précédant l’afflux de réfugiés, et ils ont même baissé en 2023. En outre, la République tchèque a un taux d’accession à la propriété bien supérieur à la moyenne de l’UE, ce qui devrait tempérer plutôt qu’exacerber la baisse de la fécondité.
Une autre hypothèse met l’accent sur le revenu des ménages. Un afflux d’immigrés peut faire baisser les salaires, surtout au bas de l’échelle, ce qui appauvrit les autochtones et diminue donc leur fécondité. Or, le taux de chômage des Tchèques âgés de 25 à 54 ans (l’âge moyen des femmes tchèques à l’accouchement est aujourd’hui de 30,4 ans) est le plus bas de l’Union européenne et a même légèrement baissé depuis 2021.
Les hypothèses matérialistes ne sont pas les seules que l’on peut envisager. Des études ont montré des effets significatifs sur la fécondité de toutes sortes d’événements culturels et politiques éphémères, qu’il s’agisse d’élections, de rencontres sportives ou de visites papales. Pourquoi une immigration massive ne provoquerait-elle pas une réaction de fécondité bien plus importante qu’une défaite électorale ou sportive ?
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le soutien au parti populiste de droite tchèque ANO [NdT : Akce Nespokojených Občanů, Action des citoyens mécontents] a augmenté, atteignant un niveau record de 35% au début de l’année. La popularité d’ANO a commencé à faiblir ces derniers mois, uniquement en raison du défi lancé par le SPD [NdT : Svoboda a přímá demokracie, Liberté et démocratie directe], un parti encore plus à droite sur l’échiquier populiste. L’ANO et le SPD défendent tous deux des positions restrictives et gagnent le soutien des électeurs populistes de droite, motivés par un sentiment de dépossession culturelle et d’impuissance, une préférence pour l’homogénéité par rapport à l’hétérogénéité et la crainte d’un déclin national. Le dirigeant de l’ANO et ancien Premier ministre Andrej Babiš a explicitement établi un lien entre l’immigration de masse, le déclin de la fécondité des autochtones et le désespoir national, déclarant en 2021 :
[Les Tchèques] savent que l’immigration illégale massive et incontrôlée n’est pas la solution. Bien au contraire. La seule solution véritablement durable contre l’extinction de l’Europe est d’augmenter le taux de natalité de notre propre population autochtone.
C’est une voie commune aux quatre pays [du groupe] de Visegrád [NdT: République tchèque, Hongrie, Slovaquie et Pologne]. C’est la seule façon de ne pas finir comme certains pays d’Europe occidentale, qui changent littéralement sous nos yeux d’année en année.
Le lien entre le désespoir culturel et la baisse de la fécondité n’est toutefois pas nécessairement direct. Les jeunes Tchèques en âge de procréer ne sont pas des électeurs populistes de droite. Leurs parents et grands-parents le sont. Ceux qui désespèrent de l’avenir démographique de la nation se révèlent être ceux qui sont le moins capables de faire quoi que ce soit à ce sujet. Leurs inquiétudes alimentent le soutien au populisme de droite qui, à son tour, provoque une réaction de gauche de la part des jeunes qui tendent vers l’antinatalisme. C’est particulièrement vrai chez les jeunes femmes, précisément le groupe démographique qui a besoin d’adhérer au projet populiste de fécondité pour qu’il réussisse.
Dans une période où la fécondité est faible et en baisse, nombreux sont ceux qui concluent que l’immigration de masse est la seule solution au déclin de la population, au vieillissement de la société et à l’effondrement de l’État-providence. Cependant, pour des raisons simplement démographiques, l’immigration de masse pourrait être un remède pire que le mal. Plutôt que de se résigner à importer la prochaine génération, les décideurs politiques devraient se demander pourquoi les autochtones ont tant perdu confiance en l’avenir.
Bibliographie
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