La récession sexuelle en France

Comme si l’on n’avait pas assez de problèmes en France, l’IFOP nous sape le moral dans une étude intitulée : « La “sex recession” : les Français font-ils moins l’amour ? ». Les Français acquiescent piteusement tandis que les princesses des réseaux leur rappellent que c’est forcément de leur faute — d’une façon ou d’une autre — que les femmes ne leur doivent rien et qu’ils feraient bien d’aller crever loin, seuls et en silence.

Comme la loi enjoint à citer scrupuleusement la source des sondages, je recopie ici la formule prescrite par l’IFOP : « Étude IFOP pour LELO réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1.911 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. » Voilà, c’est fait, nous sommes en règle.

Puceaux et libertines

En 2022, j’avais déjà publié un billet sur le déclin de l’activité sexuelle aux États-Unis en conjecturant que le phénomène ne tarderait pas à s’observer en France. Nous y sommes à présent. J’avais également déploré de ne pas trouver, dans les études sur la sexualité des Français, des chiffres directement comparables à ceux des études américaines et en particulier à celui-ci : 27% des Américains (mâles) de moins de trente ans ne déclarent aucune activité sexuelle depuis leurs 18 ans (c’est à dire : probablement aucune de leur vie). Voyons si les chiffres de l’IFOP nous éclairent sur le nombre de quasi-puceaux Français.

On apprend d’abord que « 76% des Français(es) initié(e)s sexuellement ont eu un rapport sexuel au cours des 12 derniers mois ». Cela nous fait 24% de frustrés depuis au moins un an… mais seulement parmi les non puceaux et toute classe d’âge et de sexe confondues. En examinant les chiffres détaillés (ceux que les journalistes ont la flemme de lire), on voit que « 74% des hommes initiés de moins de 30 ans ont eu un rapport sexuel au cours des 12 derniers mois » tandis que pour les « femmes initiées de moins de 30 ans » on monte à 92%. Mais alors, où sont les « non-initiés » ? Nulle part, sauf en les déduisant du nombre d’initiés indiqué à l’autre bout du tableau, soit : 22% de puceaux, 26% de pucelles (tous âges confondus — on n’a jamais les bonnes informations !). Supposons un instant que le nombre de puceaux soit négligeable au dessus de 30 ans (ce n’est pas du tout certain, c’est juste une supposition faute de données). Cela donnerait : 27% des jeunes femmes n’ont eu aucun rapport dans les 12 derniers mois ou jamais et 39% des jeunes hommes n’ont eu aucun rapport dans les 12 derniers mois ou jamais. Ce ne sont pas les vrais chiffres, c’est juste un maximum. J’aimerais qu’on m’explique quelle logique justifie l’exclusion des vierges dans un sondage sur l’absence de sexualité.

Survolons malgré tout les catégories étudiées par l’IFOP :

  • Entre 30 et 49 ans, le nombre d’hommes et de femmes déclarant au moins un rapport dans les 12 derniers mois est le même : 91%. Après 50 ans, ce sont les femmes dont la sexualité se tarit. Entre 60 et 69 ans, 75% des hommes déclarent au moins un rapport dans les 12 derniers mois, pour seulement 44% de femmes dans la même tranche d’âge. L’activité supérieure des jeunes femmes et des hommes mûrs est cohérente avec l’observation empirique de la Valeur sur le Marché Sexuel.
  • Dans les cadres et professions intellectuelles supérieures, les professions intermédiaires et même les employés, on trouve plus d’hommes actifs que de femmes… mais pas chez les ouvriers, plus frustrés que les ouvrières. Similairement, les chômeurs sont moins actifs que les salariés et les dirigeants d’entreprises, mais cet écart est nettement plus fort chez les hommes que chez les femmes. Rien de nouveau sous le soleil : un homme pauvre n’est pas perçu comme séduisant (toutes choses égales par ailleurs).
  • Cependant, l’IFOP fournit également des chiffres détaillés pour ceux qui ont au moins un rapport par semaine. Et dans cette catégorie là, les ouvriers et les chômeurs affichent cette fois d’excellents scores, très probablement parce que ceux-ci sont en couple et durablement.
  • Surprise : on baise plus en province qu’à Paris ! Et encore plus dans les communes rurales que dans les agglomérations urbaines de province. Sully avait raison : le labourage et le pâturage sont les deux mamelles de la France. Êtes-vous sûr de vouloir encore rester dans une grande ville ?
  • Autre surprise : les catholiques sont un peu plus actifs que les athées, et les pratiquants plus que les non-pratiquants. Puisqu’on vous dit qu’il faut pratiquer ! Il faut peut-être rapprocher cela de la nette différence entre les célibataires (54% d’hommes et 43% de femmes dans cette catégorie déclarent au moins un rapport dans les 12 derniers mois) et les couples (90% des hommes et des femmes en couple déclarent au moins un rapport dans les 12 derniers mois). On dirait bien que la « libération sexuelle » et le déclin de la famille traditionnelle ont créé plus de frustration que de satisfaction.
  • Les protestants et les musulmans sont à un niveau d’activité sexuelle très élevé : 96% et 98% respectivement déclarent un rapport dans les 12 derniers mois, bien que l’IFOP ne soit pas tout à fait sûr de ses chiffres (ils ont mis une astérisque, mais je n’ai pas trouvé à quoi elle renvoie).
  • Encore une surprise : les femmes maigres déclarent moins d’activité sexuelle que les femmes normales, en surpoids et même obèses ! Tandis que chez les hommes, ce sont les minces qui baisent le plus. Nous aurait-on abusé sur les exigences des hommes et l’indulgence des femmes ?
  • Maintenant, nous allons devoir blesser une catégorie d’hommes particulièrement défavorisés : les « très féministes »… 48% de frustrés contre seulement 18% chez les « pas féministes » ! De même, les réponses par « proximité partisane » montre que les garçons sympathisants de LFI sont de loin les plus privés de sexe (49% sont restés la bite sous le bras durant les 12 derniers mois). Les sympathisantes LFI, elles, ne sont que 19% à ne pas avoir fait de galipettes durant la même période. Mais alors… avec qui font-elles la bête à deux dos ? On se perd en conjectures… Les hommes écologistes, peut-être ? Ils sont en tête de l’activité sexuelle masculine, bien que suivi de près par le RN et les extrêmes-centristes du parti présidentiel.

Asexuelles et chafouins

Nos sondeurs n’ont pas manqué de s’intéresser à cette posture à la mode : l’asexualité. Ils titrent : « un choix involontaire, une orientation sexuelle assumée ». J’ai un peu de mal avec l’idée que c’est un « choix », mais « involontaire », mais « assumé ». Ce qui ne me semble pas bien assumé c’est que vivre dans une époque de totale liberté individuelle implique d’être responsable de ses choix passés et sûrement volontaires. Mais je digresse… Voyons les détails :

  • Ce sont surtout les femmes de plus de 50 ans qui se déclarent asexuelles, à plus de 20%, tandis que les femmes de 30-39 ans ne sont que 4% à s’en revendiquer. Les femmes de 18-29 ans se disent à 8% asexuelles… et les garçons du même âge 11% ! Je me demande si les garçons ont bien compris que la question n’est pas « Est-ce vous baisez ? »
  • Surprise : les déclarations d’asexualité féminine varient peu entre Paris, les centres urbains de province et la campagne. Une explication partielle est peut-être que les ouvrières déclarent un haut niveau d’asexualité. Ces 18% là ne ressentent pas d’attirance sexuelle… en tout cas pas pour les hommes de leur milieu.
  • Peu de différences, pour les femmes, entre athées, pratiquantes et non-pratiquantes. En revanche, les hommes religieux se déclarent asexuels bien plus fréquemment que les hommes athées et non-pratiquants. Cependant, cette non-attirance déclarée ne vient pas des catholiques. Qui peuvent bien être ces hommes religieux qui nient éprouver de l’attirance sexuelle, hmmm ?
  • Peu de différences encore, entre les femmes « très féministes », « assez féministes » et « pas féministes ». Les garçons « très féministes » essayent bien sûr de se mettre en valeur en prétendant être asexuels plus souvent que les autres. Ils n’ont pas compris que ce n’est pas comme ça qu’ils auront de la chatte. Pareil chez les garçons sympathisants LFI. Par contre, les hommes écolos sont les plus sexuels, tandis que ce sont les sympathisantes du RN qui assument le plus leur attirance sexuelle pour autrui, et de loin. Si ça se savait, les rapports de force électoraux pourraient en être impactés.
  • Les femmes maigres sont presque deux fois plus asexuelles que les autres. C’est à se demander si le gras ne jouerait pas un rôle essentiel dans la production des hormones du désir chez les femmes. Tandis que les hommes minces (rappelez-vous : ce sont ceux qui baisent le plus) ne déclarent aucune asexualité. Zéro. Tous la frite !
  • Autre point remarquable : les asexuels sont beaucoup plus nombreux parmi les gens qui ne baisent pas (évidemment), mais il y a une nuance entre les deux sexes. Chez les hommes seuls ceux qui n’ont pas eu de rapport sexuel depuis plus d’un an déclarent quelque peu fréquemment être asexuels, tandis que chez les femmes celles qui n’ont pas eu de rapport sexuel depuis plus d’un mois déclarent être asexuelles presque aussi fréquemment que celles qui n’en ont pas eu depuis plus d’un an. Cause ? Effet ? L’appétit viendrait-il en mangeant et l’anorexie en se privant ? Ou la sexualité féminine poursuivrait-elle d’autres buts que la satisfaction physique ?

Célafotozoms

Mais pourquoi tant de célibataires demeurent sexuellement inactifs ? L’IFOP leur a demandé. Principale raison invoquée chez les hommes et les femmes : ne pas avoir trouvé de partenaire qui leur fasse envie. Autres raisons majeures, mais chez les hommes uniquement : ne pas avoir trouvé de partenaire qui veuillent bien avoir des rapports sexuels (62% chez les hommes, contre 41% chez les femmes) et avoir l’impression que personne ne s’intéresse à soi (61% chez les hommes, contre 35% chez les femmes).

C’est donc la faute aux hommes car (on nous le répète sur les réseaux, dans les sermons des autrices et même, parfois, dans la presse sérieuse) : les hommes n’ont qu’à être plus beaux, plus intéressants, plus conformes aux attentes féminines et surprenant à la fois, plus grands, plus aisés, plus diplômés, plus tout. « La femme libérée ne se contentera plus d’un homme médiocre ! », proclament les petites dindes médiocres.

Conséquence de cette ambiance pénible, les garçons esquivent volontiers le sexe pour jouer aux jeux vidéos, aller sur les réseaux sociaux, bouquiner ou regarder une série. Même en couple ! Voire… surtout en couple ! De même, au moment ou la possibilité de mettre le kiki dans le pilou-pilou se présente, un grand nombre de garçons préfèrent se branler devant un p0rno (42% parmi les moins de 35 ans en couple !).

Chez les femmes, parmi les 28% qui ont déjà esquivé un coït pour se masturber devant des images p0rnographiques, 67% déclarent se titiller le bouton quotidiennement. Suggestion : la prochaine fois qu’elle vous réclame un accouplement, titillez-lui le bouton d’une main tout en continuant de lire les Effrontés sur votre mobile, ça devrait contenter tout le monde.

La parole au thermomètre

Tout sondage s’accompagne d’une analyse permettant aux journalistes de copier-coller vite fait ce qu’il convient de penser. François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’IFOP, nous explique tout :

Si le devoir conjugal n’a pas totalement disparu, cette enquête met en exergue la proportion croissante de Français(es) qui parviennent à s’affranchir d’une certaine « normalité sexuelle » et tout particulièrement des injonctions sociales qui lient forcément le couple à une vie sexuelle intensive.

C’est tellement réussi que les gens vivent de moins en moins en couples stables et que la natalité s’effondre. Mais c’est sans doute le prix à payer pour que n’importe quelle lubie narcissique accède au titre de « normalité sexuelle ».

L’essor de nouvelles conduites sexuelles (ex : abstinence choisie) ou l’affirmation d’orientations sexuelles jusque-là assez méconnues (ex : asexualité) favorise chacune à leur manière une forme de « désengagement sexuel » qui n’est en rien spécifique au domaine de l’intime : on retrouve aujourd’hui cette baisse d’engagement dans d’autres aspects de la vie des Français (travail, civisme, associatif, politique…).

Oui, c’est caractéristique de l’époque : plus d’engagement, tout est flexible, flottant et incertain. Plus de famille, plus d’enfants, plus de nation, plus de frontières, plus de convictions, plus de foi, plus d’honneur, plus d’amour, plus rien… sauf l’infini reflet de l’ego dans les miroirs électroniques et l’approvisionnement continuel des corps en glucides, protides et lipides. Beau comme un élevage industriel de bétail !

Au regard des résultats, le « temps sexuel » apparaît ainsi très nettement concurrencé par le temps passé sur des écrans qui offrent non seulement un moyen de combler ses besoins de sociabilité (réseaux sociaux) et/ou de sexualité (porno en ligne) mais aussi qui tend à cannibaliser le temps passé à deux : les plateformes à la Netflix proposant des productions tellement addictives et chronophages qu’elles réduisent à la fois l’intérêt pour le coït et le temps disponible pour un rapport sexuel. Quant aux célibataires, leur usage intensif des écrans les pousse à un repli sur l’espace domestique qui limite leurs occasions de rencontres [dans la vraie vie] et les prive d’opportunités de relations charnelles.

Je ne peux qu’être d’accord avec François : la vie est en dehors des écrans. La technologie tuera l’humanité si elle ne s’en affranchit pas. Ou plutôt : elle tuera ceux qui ne s’en affranchissent pas. Les communautés humaines qui prospéreront dans l’avenir seront modérément technologiques (tels les Amish). Les individus reliés à la machine globale par les yeux, les oreilles, la bouche et le trou du cul ne laisseront derrière eux que des montagnes de déchets et un cadavre découvert trop tard, quand les voisins se plaindront de l’odeur. Mais François ne peut s’autoriser à penser cela. Son métier, son milieu et probablement ses propres certitudes le lui interdisent :

Cette étude a le mérite de mettre en lumière le fossé existant entre la réalité sexuelle des Français et des stéréotypes médiatiques qui tendent encore trop souvent à associer la « bonne sexualité » à une vie sexuelle trépidante. […]

Une bonne sexualité doit permettre au minimum à une communauté humaine de se renouveler, génération après génération. Sinon c’est une mauvaise sexualité et une menace au moins aussi sérieuse que la guerre, la famine et l’épidémie.

Dans un contexte culturel de rejet des injonctions pesant sur le corps et l’intime, un nombre croissant de Français(es) semblent s’affranchir des normes qui font d’une sexualité active une composante essentielle d’une vie réussie ou, en tous cas, d’une vie de couple harmonieuse. […]

Au contraire, nous vivons une époque d’injonctions aussi agressives que ridicules : obligation d’allégeance au progressisme, au globalisme, au féminisme, à l’hyper-individualisme ; obligation d’acquiescement à toutes les perversions, à toutes les fictions victimaires, à toutes les destructions du collectif ; injonction à être tout et n’importe quoi sauf ce que l’on est naturellement : un homme ou une femme, un membre de son peuple sur son territoire, un maillon heureux entre ses ancêtres et ses descendants.

L’enquête montre notamment comment nombre de femmes ne se sentent plus obligées de répondre au désir sexuel de leur partenaire, certaines se tournant même vers des attitudes plus radicales comme l’asexualité et l’abstinence. En cela, le fossé se creuse avec la minorité d’hommes qui voit encore dans l’expression d’une forte libido un élément consubstantiel de leur masculinité.

Et comment expliques-tu que ce soient les hommes « très féministes » et les plus à gauche qui baisent le moins tandis que les « pas féministes » et les plus religieux sont les plus gâtés selon tes propres chiffres, François ? Que sortira-t-il de ces générations partagées entre paumés inféconds d’un côté, et réactionnaires prolifiques et souvent allogènes de l’autre ? Ce serait un bon thème pour un sondage, non ?

Write a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *