Une théorie sans romantisme mais convaincante des motivations sexuelles

Ceci est une traduction d’un article intitulé An Unromantic but Compelling Theory About Sexual Motivations paru cette année dans Psychology Today sous la plume d’un éminent chercheur en psychologie. Si l’idée du sexe comme moyen pour les femmes d’obtenir des ressources ne devrait pas surprendre nos lecteurs habituels, l’intérêt de ce texte est de valider la notion de marché sexuel ET de relier son évolution aux bouleversements économiques de l’ère industrielle. En filigrane, l’idée même de marché sexuel implique l’antagonisme des stratégies reproductives féminines et masculines (chacun voulant des choses différentes, sans quoi l’échange serait superflu). L’auteur n’évoque à aucun moment la possibilité pour les femmes d’acquérir séparément ressources et matériel génétique, ce qui montre que l’on peut comprendre l’idée de valeur sur le marché sexuel sans même invoquer le cœur de la pilule rouge : la duplicité de la stratégie sexuelle féminine. Lisez ce texte avec finesse : il traite du versant bêta de la quête sexuelle féminine (l’approvisionnement), mais il n’invalide nullement le versant alpha (l’accouplement). L’aisance économique rend attrayant, elle ne rend pas physiquement désirable. — TB

Il y a quelques années, nous avons publié une théorie que les gens n’ont pas aimé. Je peux sympathiser avec leur réaction. Je ne l’aimais pas non plus. C’est à propos du genre et du sexe. (Incidemment, j’utilise « genre » pour me référer à mâle/femelle/autre, et « sexe » pour me référer à… Et bien, le faire.)

La première fois que j’ai rencontré l’idée de cette théorie, j’ai eu immédiatement une réaction négative. Peut-être ironiquement, c’était dans les textes d’une historienne féministe, Nancy Cott, dont je lisais et admirais le travail. Elle se débattait avec la question : pourquoi les femmes de l’ère victorienne était-elles si prudes ? (Bien plus prudes que les femmes avant et après.) Elle soulevait des faits intrigants.

Comme il est bien connu, la Révolution industrielle a rendue obsolète la plupart du travail traditionnel des femmes, tel que la fabrication des vêtements. (L’industrie textile fut un moteur précoce de la Révolution industrielle.) Résultat, les années 1800 ont eu la « question des femmes », c’est-à-dire : quelle est la fonction appropriée des femmes dans la société, maintenant qu’elle n’ont plus tout ce filage, ce tissage, ces mises en conserve et autres corvées ?

Cott disait que les femmes en étaient réduites à utiliser l’attraction sexuelle comme principal ticket pour accéder à une vie agréable par le mariage. Telle qu’elle le disait, si le sexe est votre seul actif, vous avez besoin que son prix soit élevé, vous voulez donc en réduire l’offre. Je n’aimais pas cette théorie et je l’ai initialement rejetée (comme dans mon livre Meanings of Life [NdT : Les Sens de la vie]).

Cott faisait simplement cette remarque en passant, mais cela m’a fait réfléchir. Il y a de bons côtés quand on dépasse la réaction émotionnelle initialement négative. Notre théorie de l’économie sexuelle approfondit son idée.

À cette époque, les théories sur le sexe invoquaient surtout la biologie (l’évolution) ou la science politique (le féminisme), donc se tourner vers l’économie était une nouvelle direction. Essentiellement, avec le sexe, les femmes sont l’offre, et les hommes sont la demande. Pour les femmes, le sexe a une valeur de marché en cela qu’il peut être échangé pour d’autres ressources — l’amour, l’engagement ou même l’argent. La sexualité masculine (hétéro) n’a pas le même genre de valeur. (Les travailleurs du sexe tirent leur argent principalement de leurs clients masculins.) Un homme qui veut financer sa consommation de drogue ou gérer un sérieux endettement en faisant payer des femmes pour coucher avec lui aura besoin d’un plan B.

Tôt dans ma carrière, j’ai lu le livre de Marcia Guttentag et Paul Secord Too Many Women? [NdT : Trop de femmes ?] L’un des thèmes principaux est que dans le monde, les pratiques sexuelles et morales des sociétés glissent en proportion du sexe-ratio. Et ce glissement correspond totalement à la théorie de l’offre et de la demande. Parfois il y a plus d’hommes que de femmes, tel que dans l’immigration sélective (l’Amérique de la conquête de l’Ouest) ou l’avortement sélectif et l’infanticide (la Chine de l’enfant unique, certaines sociétés de chasseurs-cueilleurs).

Aussi, dans les société polygames, ce qui inclut beaucoup de société du passé, les femmes étaient rares parce que les hommes riches en épousaient plusieurs. Dans ces cas de rareté des femmes, la demande excède largement l’offre : le prix du sexe est donc élevé. Soit les hommes payent pour du sexe ponctuellement, soit ils acceptent un lourd engagement pour la durée de leur vie envers une partenaire permanente (une épouse).

Au contraire, quand les femmes surpassent les hommes en nombre, par exemple après une guerre majeure qui a tué beaucoup d’hommes, ou sur les campus américains aujourd’hui, l’offre excède la demande : le prix du sexe est donc bas. Il y a beaucoup de sexe avant et hors du mariage, et les femmes ne peuvent demander beaucoup en échange.

Essentiellement, il y a un marché sexuel. Les hommes doivent donner certaines ressources (l’engagement, l’amour, le respect, les dîners chers, le prestige, l’argent) en échange du sexe. Le prix du sexe reflète les conditions du marché, c’est-à-dire combien une femme peut obtenir en entrant dans une relation sexuelle. Un prix élevé du sexe favorise les femmes. Un prix bas favorise les hommes.

La Révolution sexuelle fut une sorte de correction du marché. Les femmes veulent du sexe aussi, bien sûr, bien que probablement pas autant que les hommes. Si Cott a raison, les femmes des années 1800 devaient garder le prix élevé. Cela leur imposait un coût en leur déniant de nombreux orgasmes, mais ça valait le coût. Mais lorsque les femmes sont entrées dans la société créée par les hommes et ont commencé à gagner leur propre argent, elles étaient moins dépendantes du mari, elles n’avaient donc pas besoin de gonfler autant le prix du sexe.

Je suis enclin à une approche romantique de la vie en général et des choses de l’amour en particulier. L’économie est décidément une discipline anti-romantique. Appliquer la théorie du sexe m’irrite plutôt. Mais les données en sa faveur sont écrasantes. Je me suis « fait violence » et j’ai fini par réaliser que toute grande théorie du comportement humain doit faire place à l’économie sexuelle.

Lorsque nous avons commencé à examiner les données, nous avons été frappés du nombre de phénomènes qui semblent correspondre à ce schéma. Si vous voulez voir les données, voyez les références à la fin de cet article.

Soyons clairs. De nombreux facteurs influencent le comportement sexuel, dont bon nombre n’ont rien à voir avec l’économie sexuelle. C’est juste un facteur parmi d’autres. Mais il semble expliquer et probablement motiver une grande part de ce qui se passe.

Ma collègue Kathleen Vohs était co-auteur sur le papier original de la théorie et divers autres. Elle a aussi fait du travail de laboratoire pour tester la théorie. Un jour, elle m’a dit que ses assistants de recherche lui avaient rapporté une chose curieuse dans leur impression générale :

À la fin de la session expérimentale, ils expliquaient à chaque participant le but de l’expérimentation, en incluant une brève explication de la théorie de l’économie sexuelle. Les assistants de recherche ont eu l’impression que lorsqu’on expliquait cela aux femmes attirantes dans l’échantillon de recherche, ces femmes le comprenait immédiatement et elles disaient, oui, c’est comme ça que ça fonctionne.

Au contraire, les femmes moins attirantes ne pensaient pas que cela était vrai du tout, et parfois elles étaient choquées que quiconque puisse penser une telle chose. Il ne s’agit pas vraiment de données systématiques et bien répliquées, mais cela ferait sens si l’impression spontanée des étudiants était correcte. Les femmes attirantes seraient les plus en accord avec le marché sexuel parce qu’elles en tirent le plus de bénéfices.

Il y a une implication plus large ici. En tant que généraliste, j’ai lu de nombreux travaux de recherches sur de nombreux sujets différents et j’ai essayé de trouver une théorie qui correspond aux connaissances actuelles. Une leçon que le généraliste apprend tôt est que la réalité n’est pas comme nous l’imaginons tendrement.

Parfois nos espoirs sont justifiés, parfois non. Je me suis donné pour but de comprendre autant qu’il est possible. Une vision d’ensemble ne peut être bonne si certains éléments majeurs sont faux, par conséquent on doit s’habituer à accepter des choses que l’on n’aime pas vraiment. Mon moi romantique préférerait que la théorie de l’économie sexuelle ne soit pas vraie. Mais elle semble assurément vraie

Références

Baumeister, R. F., & Vohs, K. D. (2004). Sexual economics: Sex as female resource for social exchange in heterosexual interactions. Personality and Social Psychology Review. 8, 339-363. doi: 10.1207/s15327957pspr0804_2

Baumeister, R. F., & Vohs, K. D. (2012). Sexual economics, culture, men, and social trends. Society, 49, 520-524, doi: 10.1007/s12115-012-9596-y.

Baumeister, R.F., Reynolds, T., Winegard, B., & Vohs, K.D. (2017). Competing for love: Applying sexual economics theory to mating contests. Journal of Economic Psychology, 63, 230-241. doi : 10.1016/j.joep.2017.07.009

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