Lorsque l’on cherche sincèrement à donner une réponse à cette question : « La vie d’un homme est-elle plus facile que celle d’une femme ? », la voie la plus évidente est de se plonger dans les statistiques sur le travail, la famille, la santé physique et mentale ou les causes de mortalité. Il paraît difficile de traiter cette question subjectivement, il faudrait pour cela avoir été à la fois un homme et une femme. Et bien, dans un article de 2018 (« Crossing the divide, Do men really have it easier? »), le Washington Post a interrogé des hommes transsexuels sur les différences entre leur vie d’homme et leur vie précédente de femme. Voici quelques extraits traduits :
Les gens présument maintenant que j’ai de la logique, des conseils et de l’ancienneté. Ils me regardent et présument que je connais la réponse, même si ce n’est pas le cas. J’ai participé à des réunions où tous les autres participants étaient des femmes et avaient plus d’ancienneté, mais on m’a quand même demandé : « Alex, qu’en penses-tu ? Nous pensions que tu saurais. »
Alex Poon
Les témoignages sont unanimes sur ce point : un homme est davantage pris au sérieux dans le travail qu’une femme… y compris par les femmes, comme le note Alex. D’une certaine manière, la police aussi prend les hommes beaucoup plus au sérieux :
On m’arrête beaucoup plus souvent [au volant] maintenant. Je me suis fait arrêter plus souvent au cours des deux premières années qui ont suivi ma transition que pendant les 20 années où j’ai conduit avant cela. Avant, quand on m’arrêtait, même pour de vraies infractions, comme conduire à 160 km/h, je m’en sortais. En fait, quand c’est arrivé à Atlanta, l’agent et moi avons eu une grande conversation sur les Braves [NdT : une équipe de baseball]. Maintenant, les deux premières questions qu’ils me posent sont : est-ce que j’ai des armes dans la voiture, et est-ce que je suis en liberté conditionnelle ou en probation ?
Trystan Cotten
Mais revenons aux histoires de boulot. Se pourrait-il que la perception des hommes au travail soit aussi liée à une attitude différente dans leur milieu professionnel ? Voire dans la vie en général ?
J’ai appris par l’exemple et j’ai modelé mon comportement professionnel en conséquence. Par exemple, j’ai remarqué que si les gars voulaient un projet, ils le demandaient tout simplement. S’ils voulaient une augmentation ou une promotion, ils la demandaient. C’était un concept étranger pour moi. En tant que femme, je n’ai jamais pensé qu’il était poli de faire cela ou que j’avais le pouvoir de le faire. Mais après avoir vu cela se produire tout autour de moi, j’ai décidé que si je sentais que je méritais quelque chose, j’allais le demander aussi. […]
Je suis en voiture avec l’une de mes meilleures amies, Beth, et je lui demande : « Ta sœur nous rejoint pour dîner ? » Dix minutes plus tard, elle est toujours en train de parler et je ne sais toujours pas si sa sœur va venir. Alors finalement, je n’en pouvais plus, j’ai craqué et j’ai dit : « Est-ce qu’elle vient ou pas ? ». Et Beth m’a dit : « Tu sais, tu aimais entendre toute l’histoire et comment j’arrivais à la réponse. Beaucoup d’entre nous ont remarqué que tu es devenu très impatient ces derniers temps et nous pensons que c’est cette fichue testostérone ! » Il est tout à fait vrai que certains comportements masculins sont régis par les hormones. Au lieu d’écouter le problème d’une femme, de faire preuve d’empathie et d’acquiescer, je fais le truc stéréotypé des hommes : j’interromps et je propose une solution pour couper court à la conversation et passer à autre chose.
Chris Edwards
C’est en effet une attitude masculine de rechercher des solutions et d’agir. L’entretien d’un réseau de relations plaisantes avec d’autres femmes et complaisantes avec des hommes est un besoin féminin. Les hommes résolvent des problèmes et produisent du surplus, les femmes bénéficient de la production de ce surplus. La sympathie va aux femmes automatiquement, aux hommes jamais ou exceptionnellement.
Avant ma transition, j’étais une féministe radicale au franc-parler. Je m’exprimais souvent, fortement et avec confiance. On m’encourageait à m’exprimer. On me remettait des prix pour mes efforts, littéralement — c’était comme si on me disait : « Oh, oui, parle, parle. » Aujourd’hui, lorsque je m’exprime, on me dit souvent, directement ou indirectement, que je suis en train de faire du « mansplaining », de « prendre trop de place » ou « d’affirmer mon privilège d’homme blanc hétérosexuel ». Peu importe que je sois un Américain-mexicain de première génération, un homme transsexuel et marié à la même femme qu’avant ma transition.
Je trouve offensante l’affirmation selon laquelle je suis désormais incapable de m’exprimer sur des questions que je trouve importantes et je refuse de laisser quiconque me réduire au silence. Ma capacité d’empathie s’est accrue de façon exponentielle, car je prends désormais en compte les hommes dans mes réflexions et mes sentiments face aux situations. Avant ma transition, je m’intéressais rarement à la façon dont les hommes vivaient la vie ou à ce qu’ils pensaient, voulaient ou aimaient de leur vie. […]
J’ai remarqué que certaines femmes s’attendent à ce que j’acquiesce ou que je leur cède davantage maintenant : les laisser parler en premier, les laisser monter en premier dans le bus, les laisser s’asseoir en premier, et ainsi de suite. Je remarque également que dans les espaces publics, les hommes se font plus camarades avec moi, ce qu’ils expriment par des messages verbaux et non verbaux : ils lèvent la tête lorsqu’ils me croisent sur le trottoir et utilisent des termes comme « frère » et « patron » pour me saluer. En tant qu’ancienne féministe lesbienne, j’ai été choquée par la façon dont certaines femmes veulent être traitées par moi, maintenant que je suis un homme, parce que cela viole une croyance fondamentale que j’ai, à savoir que les femmes sont des êtres humains pleinement capables, qui n’ont pas besoin que les hommes acquiescent ou leur cèdent.
Ce qui continue à me frapper, c’est la réduction significative de l’amabilité et de la gentillesse que l’on me témoigne dans les espaces publics. J’ai maintenant l’impression d’être seul : personne, en dehors de la famille et des amis proches, ne fait attention à mon bien-être.
Zander Keig
Alex, Trystan, Chris, Zander, vous savez désormais qu’une vie d’homme est plus rude et plus solitaire qu’une vie de femme. C’est une vie d’efforts et de risques, mais aussi de liberté et de satisfactions profondes. Si cela vous paraît plus désirable qu’une existence de dépendance, d’anxiété et de grégarisme, bravo ! Vous avez bien fait de changer de sexe. Bienvenue parmi nous.