Polyamour tragique 3

« Paula-X, cette inconnue », projet pour une biographie.

Deux années plus tard, après l’acte fondateur et après que Valentine a passé le bac, ils décident de partir en tournée. Victor a eu son permis, ils sont majeurs et bien décidés à porter loin les fondements de leur punk basique. Ils ont écrit un tube : « Boula-one, boula-two, boula one, two, three ! » Ils ont enregistré une cassette. Ils ont un look à faire fuir. Ils veulent conquérir le monde… Et le monde commence en Bretagne, à Carnac chez la grand-mère d’Antoine.

Antoine a 19 ans, il est puceau et de ça il en conçoit de la gêne et de la honte. Plutôt que de l’admettre, il feint un désintérêt extatique pour les filles. Il prétend ne pas vouloir d’amour de garde-barrière, de relation à la sauvette ou de flirt d’un soir. Antoine est un pur. C’est un timide maladroit. Ces amis ne le questionnent pas. En la matière, le groupe est un lieu de repos, on n’y vient sans prétendre ou sans chercher à impressionner. Ce qui se dit dans le studio, reste dans le studio. Pour autant, Antoine est un beau jeune homme. De bonne taille et de bonne constitution, il est d’une beauté fragile et ambiguë, comme un jour incertain ou comme un soir d’avril. Il porte les cheveux longs, un perfecto noir et des Jeans 501. À l’occasion, pour une cérémonie officielle, il s’habille – « il se déguise, dit sa mère » – veste queue-de-pie et gilet moiré. Antoine a de la conversation, il sait faire rire – de cet humour désespéré qu’ont les anxieux – c’est un tendre sous une carapace de cuir. Malgré, ou en dépit, de cela, on ne lui connaît pas d’amoureuse. Valentine peut confirmer qu’Antoine n’est pas de sa bande. Le doute persiste quand même.

Les copains organisent la tournée bretonne. C’est-à-dire qu’ils boivent beaucoup, rêvent pas mal et ne font pas grand-chose. Ils ont choisi d’établir leur camp de base à Carnac aussitôt qu’Antoine le leur a proposé. La maison est vaste, pas très loin de la plage et la grand-mère Alice est d’une douceur coupable pour ces quatre nigauds dans le vent. Elle les couve d’attentions gentilles, comme le chocolat qu’elle leur prépare le matin – vers 14h00 – le rôti-purée, plat préféré de Paula… qu’elle laisse au four – elle accepte de bon cœur les horaires décalés. « Il faut bien que jeunesse se fasse… » dit-elle, « …se passe ! » rétorque Antoine. « Ne t’inquiète pas mon grand, elle va bien finir par passer ». Alice est devenue la mascotte du groupe, sur l’affiche qu’ils ont rédigée, ils ajoutent en italique : featuring Alice Monroe sous le nom du groupe.

Le soir du premier concert, au café Les embruns, fidèle à ses principes le groupe s’annonce pour minuit. Ils tuent le temps en enchaînant les demis. À 23h30 le public arrive. Principalement des jeunes gens avec, parmi eux, beaucoup de jolies filles. Le rêve de devenir une star du rock se concrétise, ici même dans un bar de plage. Paula est déjà à la manœuvre, suivit par Valentine. Dans un coin sombre, le groupe vide les bières d’une traite.

« T’as trop bu ! » crie Paula, Antoine ne l’entend pas, il allume une cigarette au mégot de la précédente. Il a les yeux rouges, un tic nerveux agite sa main gauche. « C’est pas ça, dit-il, c’est pas ça, j’ai la trouille ! » il n’a pas le temps de finir sa phrase qu’il vomit sur son amie et tombe dans les pommes.

Il se réveille le lendemain, dans la chambre qu’il occupe avec Victor. Alice, assise près de lui, tricote une écharpe. L’été précède l’automne, toujours… Alice est une grand-mère prévoyante. « Bonjour mon garçon, comment vas-tu ? Je t’ai fait du bouillon de poule, tu en veux ? »

Paula lui explique. Son évanouissement, le concert annulé, l’ambulance, les urgences… « Un vrai concert punk si tu veux savoir ! » Antoine est vexé : C’est un Breton et les Bretons tiennent aussi bien l’alcool que la mer !

Laurent Colin

« Paula-X, cette inconnue », projet pour une biographie

La première fois a eu lieu par un jour de crachin, une bruine de mer que les Bretons appellent morlusenn, cette pluie fine en suspension dans l’air humide. C’était pendant un festival punk en bord de plage. On campait derrière la scène avec le groupe, pas loin de la plage. Réveil après midi, première bière, premier bain, malgré la température de l’eau, pour nous décrasser, et deuxième bière en sortant.

J’avais teint mes cheveux en blond, courts, une coupe à la garçonne, le teint crayeux et les yeux bleus, un corps élancé couronné par des épaules fines. Je marchais d’un pas évident, Doc Martens dix-huit trous au pied, les gestes pleins, sans aucun maquillage ; une beauté directe avec un petit goût de vin blanc à boire cul-sec. Quand je sortais du bain, on pouvait voir mes seins sous mon t-shirt mouillé, les tétons durcis par le froid, le galbe ferme. J’étais une putain de belle gamine !

Lui, il portait un Levis 501 et des Stan Smith blanches. J’étais sous le charme, l’alcool, l’ambiance du festival… Je voulais tomber amoureuse.

Il profitait de la danse dans la fosse pour entrer en contact. À ce moment il pouvait prétendre m’effleurer un sein, un bras, protégé par l’excuse de l’action. Mais il voulait plus, pas moi ! Je le sentais, avec le recul, je le savais. Après le dernier concert, nous avons décidé de boire encore des bières sur la plage. Nous étions allongés l’un contre l’autre sur le sable, l’air était lourd malgré le vent d’ouest. Je le laissais m’embrasser. Il devenait de plus en plus entreprenant. Je le repoussais mollement, pas assez peut-être, je me suis longtemps posé la question. L’orage nous a pris par surprise. Un déluge de fin du monde se déversait sur la ville, vidant les rues et les plages. Il s’est déshabillé et s’est tourné vers moi, les mains sur son entrejambe comme pour maîtriser le mouvement de balancier de son éperon tendu, il mesurait un mètre quatre-vingts, une ossature fine et un corps d’éphèbe, dans le genre androgyne et ambigu : « Allons nous baigner, souffla-t-il ». Je ne me suis pas méfiée, j’avais beaucoup trop bu, quelle conne !

La marée était haute, par contraste l’eau était chaude. L’obscurité et les trombes d’eau réduisaient la vue à quelques mètres. La nuit semblait avaler la mer. Nous nous sommes précipités vers l’océan et nous y sommes tombés, nous avons roulé dans les vagues amères. J’espérais que le bain le calmerait. Sans prévenir, Il a posé sa bouche sur la mienne, sa langue s’y est introduite, mélange d’eau douce et d’eau salée. Un éclair a déchiré le ciel de son bruit blanc. J’essayais de m’écarter, mais il me rattrapait. Il a empoigné mes fesses à plein battoir et les a malaxées férocement. Il a glissé son doigt dans ma chatte. J’ai dit : « Tu me fais mal ! » il a continué. Il m’a tiré par le bras pour sortir de l’eau et m’a jeté au sol. D’une torsion il s’est mis sur moi, a écarté mes jambes, j’ai crié, « je ne veux pas ! » et « à l’aide » mais avec l’orage, il n’y avait personne. On venait juste de se rencontrer. C’était la première fois ! Je voulais de l’amour et lui me déchirait l’intérieur. Il était trop lourd, je ne pouvais pas bouger. J’ai fini par fermer les yeux, à penser à l’île d’Ouessant, un endroit calme et sans risque, et à attendre qu’il finisse. Ça a pris du temps. Sentant la fin, il s’est retiré de moi, et debout, il m’a éjaculé dessus. Puis il s’est rhabillé sans un mot et il est parti. J’étais glacée, couverte de foutre, trempée.

J’ai été me réfugier dans le seul endroit possible, chez toi. Je savais que ta mère ne dormirait pas. Je n’ai rien dit à mes parents. En août je bossais sur les marchés. À la fin du mois j’avais oublié.

Propos recueillis par Laurent Colin

Les Inrockuptibles, septembre 2001, Paula-X, « Incandescence »

Ils sont de retour ! Les deux garçons et deux filles remontent sur scène après des mois d’absence. On les croyait brouillés, au bord de la séparation, absorbé dans leurs projets personnels, tant elle était grande, la fatigue accumulée à l’issue de la dernière tournée. Qu’on juge sur pièce : Un an et demi sur les routes, plus de trois-cents concerts au quatre coins du monde – New-York, Moscou, Pékin, Lyon, Stockholm, Buenos Aires… toutes les dates étaient complètes des semaines à l’avance. Conséquence heureuse et bienvenue d’une méthode à rebours des habitudes du genre : La construction méthodique d’une relation particulière avec les fans. Car, par son refus systématique d’entrer dans le jeu de la promotion médiatique, le groupe privilégie la scène et les petits salles pour entrer en communion avec son public et tisser avec lui un lien aussi étroit qu’intime.

Une musique sans concessions, un rock fort, véritable bande-son d’une époque désenchantée, des paroles poétiques et portées par des mélodies efficaces. Paula-X est apparu dans le paysage musical français comme le mélange détonnant et réussi des Beatles, Apollinaire et Trust, un éclair dans un ciel serein. On s’ennuyait ferme avant leur arrivée, le rock français se résumait à pas grand-chose, derrière les souverains poncifs de la chanson à texte, on le taxait de prétexte, un défouloir pour adolescents en attente des résultats du bac. Mais l’industrie du disque ne se trompe pas deux fois. Un gros contrat et trois albums plus tard, Paula-X est devenu une valeur sûre, c’est-à-dire rentable. L’espace est ouvert et dans la brèche s’engouffrent aujourd’hui les rejetons d’une décennie de succès.

Ce dernier opus va surprendre les fidèles et ravir les autres. Sombre et calme, étincelant et félin, quatorze titres, quatorze tubes ; une compilation, un best-of ! Enregistré en live à Los-Angeles, sous la houlette de Nick Niceley, le producteur le plus couru de la côte Est, « Incandescence » est un feu intérieur, un volcan bouillonnant, une déflagration tellurique de magnitude 12 sur l’échelle de Richter. C’est aussi un lac d’altitude, une rivière souterraine, un nuage égaré, une promenade dominicale entre amis. Les retrouvailles tant espérées de la fièvre des débuts, de l’énergie apaisée par la reconnaissance et de la maturité. Désormais, le nom de Paula-X est gravé au burin sur le fronton du panthéon du rock mondial. Il y avait un avant et il y aura un après, mais plus rien ne sera plus. On se rappellera, on se dira : « Voilà où j’étais, ce que je faisais quand ce disque est paru ». Une date, une pierre sur la route du temps inexorable, la nostalgie d’un avenir et l’espoir d’un passé. Un véritable miracle, une merveille vraie. Paula-X a acquis le droit de cité parmi les plus grands, de tutoyer Jimi Hendrix, Bob Dylan, Leonard Cohen, Led Zeppelin… et de porter le drapeau d’une jeunesse que l’on disait perdue, d’une génération que l’on croyait « bof », parole de beaufs on le sait à présent, toutes les nuances de l’aigri se sont exprimées pour condamner le groupe. Cette réponse est un faire-part, le silence après le passage de Paula-X, c’est encore Paula-X.

(À suivre…)

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