Avez-vous remarqué ? Ce qui se passe aux États-Unis manque rarement d’arriver chez nous quelques années plus tard. Dans un article du Washington Post de 2019, on pouvait lire ce constat troublant :
La part des adultes américains déclarant n’avoir eu aucun rapport sexuel au cours de l’année écoulée a atteint un niveau record en 2018, soulignant une tendance sur trois décennies marquée par le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de personnes seules.
Mais parmi les 23% d’adultes — soit près d’un sur quatre — qui ont passé l’année en célibataire, un nombre beaucoup plus important que prévu étaient des hommes dans la vingtaine, selon les dernières données de l’Enquête Sociale Générale.
Christopher Ingraham, « The share of Americans not having sex has reached a record high », 2019
L’article fournissait d’intéressants graphiques pour rendre les chiffres plus compréhensibles :
Comme les données font parfois des bonds de 5 points d’une enquête à la suivante, on n’ergotera pas sur les petites variations, sûrement pas significatives. Par contre, la tendance d’une partie des répondants à glisser d’une activité sexuelle au moins hebdomadaire à une activité sexuelle mensuelle est claire. Cela pourrait s’expliquer par le vieillissement de la population américaine, mais le graphique suivant nous montre une toute autre chose :
Là aussi, comme les données peuvent faire des bonds jusqu’à 7 ou 8 points d’écart d’une enquête à la suivante, on ne tirera pas de conclusion des courbes représentant les plus de 30 ans, sinon que le nombre de répondants privés de sexualité dans ces tranches d’âges n’a pas dû beaucoup augmenter. En revanche, la privation d’activité sexuelle a nettement augmenté chez les 18-29 ans, à l’âge où l’on est pourtant le plus libidineux et, pour les femmes, le plus fertile.
La surprise arrive lorsqu’on examine séparément la situation des jeunes hommes et des jeunes femmes :
Ce qui apparaît clairement ici, c’est que le taux de « misère sexuelle » des vingtenaires des deux sexes est resté très proche jusqu’aux années 2010. Peut-être un tout petit peu plus élevé chez les hommes, mais la précision des données ne permet pas d’en être sûr. Après 2010, un nombre croissant de jeunes hommes se sont retrouvés exclus du marché sexuel.
Que s’est-il passé durant cette décennie ? Et bien, à partir de la sortie de l’iPhone en 2007, et du HTC Dream en 2008, nous avons glissé dans une époque nouvelle : l’ère du smartphone. Désormais, nous sommes tous équipés d’un puissant ordinateur de poche doté d’une interface vraiment pratique et nous reliant à l’internet en permanence. Dès 2013, le smartphone dépassait l’ordinateur comme terminal préférentiel d’accès aux services en ligne. Quel rapport avec la sexualité ? Regardez ça :
Tous les modes de rencontre traditionnels ont décliné dans les années 2010, sauf la drague dans les bars. À la place, la plupart des rencontres se font par des applications conçues exprès pour cela ou sur des réseaux sociaux. Le déclin simultané de la sexualité des jeunes hommes suggère que les rencontres en ligne sont un terrain de séduction très défavorable à beaucoup d’entre eux. On peut même affirmer que ce sont toujours les mêmes qui restent bredouilles, grâce à ce graphique :
Si les hommes entre 18 et 30 ans sont 28% à ne déclarer aucune activité sexuelle durant l’année passée et que 27% — presque la même portion — ne déclarent aucune activité sexuelle depuis leur 18 ans, on comprend que ce sont toujours les mêmes qui n’accèdent pas à la sexualité. Plus d’un sur quatre, c’est énorme. Il n’y a pas de données sur l’activité sexuelle avant 18 ans, mais on ne prend pas beaucoup de risques à supposer que la plupart des 18-30 ans qui n’ont aucune sexualité n’en avaient pas non plus avant 18 ans. Les jeunes américains de ce début de siècle sont une génération de puceaux. D’accord, j’exagère un peu, c’est juste un bon quart d’entre eux. Mais dans un contexte de baisse générale de l’activité sexuelle des jeunes (même ceux qui en ont une activité sexuelle), les trois autres quarts ne doivent pas se composer typiquement de garçons ayant une vie sexuelle extravagante, à l’exception d’une minorité de gars chanceux, perçus comme particulièrement désirables à travers l’interface des applications de rencontres.
« Ouais, bon… On s’en fiche. C’est le problème des Américains. »
J’ai cherché les données équivalentes pour la France et, comme d’habitude, je n’ai pas trouvé. Soit je ne sais pas bien chercher (très possible), soit les Américains s’intéressent beaucoup plus à leur sexualité nationale que nous (ils sont pragmatiques en toute chose).
Le mieux que j’ai pu trouver est un graphique présentant l’âge médian du premier rapport sexuel en 2016 : 17 ans pour les garçons et 17,6 ans pour les filles, en baisse d’environ un an par rapport à 1989 (source : Baromètre santé 2016, Santé publique France).
« Oh ben ça va ! On n’est pas des puceaux en France : on commence vers 17-18 ans. Ils sont vraiment attardés, les Américains. Muahahaha ! »
On pourrait le croire, sauf que cet indicateur ne dit pas combien d’hommes ont zéro rapport sexuel avant 30 ans, ni la fréquence de l’activité sexuelle pour ceux qui en ont. Comparons au même indicateur pour les États-Unis, en 2015 : 17 ans pour les hommes et 17,3 ans pour les femmes (source : National Center for Health Statistics). Pas de différence notable. Les filles semblent même un peu moins farouches. Il se pourrait que nous soyons dans une situation proche des Américains, mais sans avoir les données pour nous en en rendre compte.
Constats et conseils pratiques
• Le marché sexuel actuel est très défavorable aux hommes.
• Le marché sexuel est devenu principalement numérique.
• En ligne, un homme est jugé sur sa photo et sa taille plus que sur tout autre critère. Il ne peut séduire par sa conversation tant qu’il n’est pas mis en relation par l’application avec une femme intéressée par ces deux éléments. Il ne peut pas non plus plaire par son langage corporel ou ses initiatives tant qu’il n’a pas un rendez-vous physique, ce qui suppose d’avoir aussi réussi l’épreuve de la conversation en ligne. Or, la plupart des conversations en ligne initiées par les garçons ne reçoivent aucune réponse des filles qui les ont pourtant sélectionnés.
• Le marché sexuel secondaire se trouve dans les bars (et, je le présume, probablement dans la rue, bien que l’étude de Stanford n’incluait pas cette catégorie). Le simple fait de se rencontrer dans un espace physique permet de contourner instantanément les critères de sélection étroits des applications, et de converser face à face avec quelqu’un qui, au pire, fera au moins l’effort de répondre « je n’ai pas envie de discuter » ou « j’attends mon copain » plutôt qu’ignorer glacialement les messages.
• En dépit des statistiques, les modes de rencontre traditionnels restent certainement un terrain intéressant, si l’on se montre entreprenant (alors que ce type de rencontres autorisait sans doute autrefois une certaine passivité, voire de la maladresse). Personnellement, mon terrain de chasse est ma principale activité de loisir : la danse. J’y rencontre des femmes partageant mon intérêt pour ce loisir, au yeux desquelles je suis valorisé par ma compétence dans cette activité. Le prétexte à la conversation est tout trouvé et le rapport physique est immédiat.
• Si vous n’avez pas le profil qui marche dans le monde étrange des amours numériques (grand, photogénique, musclé, pas trop jeune, pas trop vieux), quittez ce jeu dont les règles font de vous un perdant par avance. Même si la majorité de nos contemporaines sont ventousées à leur smartphone nuit et jour, la vie est ailleurs. Rencontrer une fille qui ne fréquente pas Tinder, OkCupid et AdopteUnMec est sûrement la meilleure chose qui puisse vous arriver. En partant à sa recherche dans le monde réel, vous écarterez d’emblée toutes celles qui vous rejettent en ligne, économisant ainsi beaucoup de temps et d’énergie. Ne pas aller vers la facilité trompeuse des applications de rencontre et la fausse abondance du marché sexuel en ligne est une excellente stratégie pour ne pas finir puceau.