C’est un fait statistique connu : dans 70 % des cas de divorces contentieux, c’est l’épouse qui demande la dissolution du mariage. (Pour les demandes conjointes, bien sûr, on ne peut savoir lequel des époux a pris l’initiative de dire à l’autre : « Il faut qu’on se sépare. ») Ce simple constat est fréquemment interprété comme une preuve de l’inaptitude des hommes à donner aux femmes la vie de couple qu’elles attendent. Leur décision, notre faute. Si nous étions des types biens, elles resteraient n’est-ce pas ?
Cependant, depuis plus d’une vingtaine d’années, bon nombre de pays occidentaux ont élargi leur définition légale du mariage pour y inclure les couples homosexuels. Il y a donc désormais des mariages lesbiens et des mariages gays (je choisis ces mots pour ne pas employer de longues périphrases comme « mariage homosexuel féminin » et « mariage homosexuel masculin »). S’il y a des mariages homosexuels, il y a donc des… divorces homosexuels. Voyons si ces unions sont plus stables que les mariages hétérosexuels.
Pour la France, je vous le dit tout de suite, il n’y a pas de chiffres. L’administration ne comptabilise pas séparément les divorces hétéros, lesbiens et gays. Nous allons donc regarder les statistiques d’autres pays.
La Grande-Bretagne a créé en 2004 un « partenariat civil », l’équivalent du « pacte civil de solidarité » français. À la différence du PACS, cependant, le civil partnership est resté réservé aux couples homosexuels jusqu’en 2019. On a donc des chiffres de séparation de ces couples bien distincts de ceux des unions hétérosexuelles :
Au cours des sept années qui se sont écoulées depuis que les couples homosexuels ont pu conclure des partenariats civils, 3,2 % des unions masculines se sont soldées par une dissolution, contre 6,1 % pour les couples féminins.
Emily Dugan, « Lesbian couples twice as likely as gay men to end civil partnership as ‘divorces’ up by 20% », The Independent, 2013
Oui, vous avez bien lu, les lesbiennes ayant contracté un partenariat civil se séparent deux fois plus souvent que les gays. Il paraît difficile d’expliquer des ruptures purement féminines par « le manque de communication des hommes », « le manque d’attention des hommes », « le manque de participation aux tâches ménagères des hommes », « la domination masculine », etc. Mais alors, pourquoi les couples de femmes sont-ils deux fois moins stables que les couples d’hommes ? Pour expliquer ce mystère, la journaliste convoque (comme toujours) les sociologues :
Les sociologues pensent que le taux plus faible de « divorces » chez les hommes homosexuels peut refléter une tendance des femmes à s’engager plus tôt et à avoir des attentes plus élevées dans une relation. Les femmes en partenariat civil se marient à l’âge moyen de 37,6 ans, alors que les hommes ont en moyenne 40 ans. Erzsebet Bukodim, sociologue à l’université d’Oxford, a déclaré : « Dans le mariage hétérosexuel, le taux de divorce est plus élevé si vous vous mariez à un très jeune âge. Cela pourrait être l’une des raisons pour lesquelles nous observons ce [taux de dissolution élevé pour les femmes] dans les partenariats civils. »
Ah bon ? C’est « un très jeune âge », 37,6 ans ? Il ne me semble pas. Et ce n’est que 2,4 ans de moins que la moyenne pour les unions gays, nettement plus stables.
Gunnar Andersson, professeur de démographie à l’université de Stockholm, a constaté dans des études successives que les femmes en Norvège, en Suède et au Danemark sont deux fois plus susceptibles de dissoudre leur partenariat civil que les hommes. Il a déclaré : « Cela reflète les tendances du mariage hétérosexuel, car les femmes sont plus enclines à dire qu’elles veulent se marier — mais elles sont aussi plus susceptibles d’initier un divorce. Les femmes sont généralement plus exigeantes sur la qualité de la relation, c’est ce qui ressort souvent des études. Même si l’on tient compte de l’âge, on constate que les femmes sont toujours plus nombreuses que les hommes à mettre fin à leur partenariat. »
Donc l’argument de l’âge ne tient pas la route. Celui du sexe semble beaucoup plus crédible puisque le comportement des lesbiennes est ici tout à fait similaire à celui des femmes hétérosexuelles.
Jane Czyzselska, rédactrice en chef du magazine lesbien Diva, a déclaré : « Culturellement, les femmes ont été plus conditionnées à se concentrer sur le mariage que les hommes. Le stéréotype du couple de lesbiennes qui prennent un camion de déménagement lors de leur deuxième rendez-vous, emménagent et ont des chats n’est pas sans raison. À cause de notre conditionnement culturel, les femmes semblent s’engager plus rapidement. »
D’après Jane, ce ne sont pas les femmes qui se désengagent le plus, c’est juste qu’elles « s’engagent » trop vite. On se demande à quoi elles s’engagent exactement. Certainement pas à former un couple durable. Gunnar n’est d’ailleurs pas d’accord avec Jane sur l’idée que les lesbiennes subiraient un « conditionnement culturel » (une explication qui marche pour tout, bien utile quand les femmes ont besoin de se dédouaner d’un comportement peu flatteur).
Une plus forte propension au divorce dans les couples homosexuels n’est peut-être pas très surprenante, étant donné la moindre exposition de ce groupe à la pression normative pour maintenir les unions la vie durant. En outre, si les attentes en termes de durée de la relation sont basées sur l’expérience des relations passées et l’expérience de ses pairs, alors les lesbiennes et les gays auront probablement des attentes plus basses, quant à la durée de la relation, que n’en auront des hétérosexuels, étant donné la nature moins institutionnalisée de la dynamique des relations homosexuelles. […]
Nous avons trouvé que les unions de femmes sont plus homogames socio-démographiquement que celles des hommes : les partenaires lesbiennes ont souvent des caractéristiques relativement similaires, tandis que les conjoints gays différent davantage en termes d’âge, de nationalité, d’éducation et de revenus. L’homogamie des caractéristiques démographiques est habituellement présumée améliorer la stabilité maritale. Cependant, certains aspects de l’homogamie, particulièrement en termes de caractéristiques économiques, peuvent être liés à des structures de pouvoir moins claires dans un couple. Cette situation peut être propice à un haut niveau de dynamisme dans la relation, mais peut-être pas au genre d’inertie lié à la stabilité maritale.
Gunnar Andersson, Turid Noack, Ane Seierstad, Harald Weedon-Fekjær, « Demographics of Same-Sex Marriages », 2006, p. 95-96
C’est joliment dit ! Si votre copine vous reproche une relation instable, dites-lui : « Mais pas du tout, choupinette ! Il y a juste un haut niveau de dynamisme dans notre relation qui nous évite la terrible inertie maritale. » À part ça, on note dans les couples homosexuels la continuation des caractéristiques des hommes et des femmes telles qu’on peut les observer dans les relations hétérosexuelles. Les gays aiment leur partenaire sans trop se préoccuper de ses diplômes et de ses revenus, comme les hommes aiment leur femme ; les lesbiennes sont en revanche sensibles au niveau socio-économique de leur partenaire, comme les femmes le sont vis-à-vis des hommes.
Passons aux Pays-bas, où le mariage homosexuel est légal depuis 2001 :
Aux Pays-Bas, les mariages lesbiens ont le plus de chances de se terminer par un divorce. Sur les 580 couples de lesbiennes qui se sont mariées en 2005, 30 % étaient divorcées dix ans plus tard. Pour les mariages hétérosexuels, ce pourcentage était de 18 %, et de 15 % pour les mariages entre deux hommes.
Les couples homosexuels ont tendance à être plus âgés au moment du mariage que les couples hétérosexuels, surtout les hommes. Un homme qui épouse un autre homme a en moyenne 43 ans le jour de son mariage, contre 37 ans en moyenne pour un homme qui épouse une femme. Parmi les mariages de lesbiennes, l’âge moyen est de 39 ans, contre 34 ans pour une femme épousant un homme.
« Marriages between women most likely to end in divorce », NL Times, 2016
Même constat qu’en Grande-Bretagne, en Norvège, en Suède et au Danemark : les couples de femmes se séparent bien davantage que les couples d’hommes et les couples traditionnels. Et comme les hétérosexuelles se marient en moyenne cinq ans plus jeunes que les lesbiennes, à nouveau, l’argument de l’âge ne peut expliquer l’abondance des divorces.
On doit conclure à ce stade que l’une des variables les plus prédictives de la probabilité qu’un couple se sépare est le nombre de femmes dans le couple. Cela dément le cliché des épouses demandant le divorce bien malgré elles, parce que leur époux est nul et qu’elles attendent légitimement une « qualité de la relation » que l’homme — ce gros lourdaud — serait incapable de donner. L’engagement et la loyauté sont des notions masculines, tandis que l’inconséquence et l’égocentrisme sont des traits féminins. Ce qui ne veut aucunement dire que tous les hommes sont loyaux et toutes les femmes inconséquentes. L’essence des deux sexes est ainsi, mais les individus peuvent en diverger grandement.
Je propose de compléter la fameuse loi de Briffault :
C’est la femelle, et non le mâle, qui détermine toutes les conditions de la famille animale. Lorsque la femelle ne peut tirer aucun avantage d’une association avec le mâle, cette association n’a pas lieu.
En lui donnant un corollaire :
Lorsque la femelle ne peut plus tirer aucun avantage d’une association avec le mâle ou une autre femelle, cette association cesse. Seul le mâle peut accroître la stabilité de la famille en maintenant fermement un cadre hors duquel la femelle trouverait moins d’avantages qu’avec lui.
Si vous voulez me faire plaisir, appelez cela la loi de Bastié.