Vous êtes sûr que c’est un temps de saison ? Certains jours, j’ai du mal à croire que c’est l’été. Un coup il y a du soleil, un coup il fait gris. Ensuite il pleut, ensuite il y a du vent… parfois de l’orage, puis du soleil à nouveau. Ce n’est pas que j’ai peur de l’eau, mais j’espérais rencontrer du monde. Les beaux jours, il y a quelques familles. Des jeunes hommes parfois, mais ils sont fluets, timides et un peu niais. Ils passent leur temps à papoter entre garçons et regarder leur téléphone. Quand ils se trempent les pieds dans l’eau, ils la trouvent un peu froide et hésitent à s’immerger au dessus de la taille. Quelques-uns sont appétissants, j’aimerais les entraîner avec moi. Leur faire perdre pied — cela m’était si facile avant — mais on dirait que je leur fais peur à présent. C’est frustrant. Pour ne pas être complètement ignorée, j’ai même dû faire le premier pas : « Saluuuut ! Moi c’est Marina. Tu viens souvent ici ? Hééé ! Allô ? Reviens, quoi… »
J’ai tout essayé pour ne pas les effrayer. Je suis restée dans l’eau pour ne pas laisser voir le bas de mon corps. J’ai pris un accent provincial pour ne pas être prise pour une Parisienne. J’ai enlevé mes perles pour ne pas faire bourgeoise et brossé mes cheveux pour ne pas faire négligée ; je suis restée seins nus pour ne pas avoir l’air coincée. Je n’ai pas parlé de féminisme, ni de climat, ni d’immigration, ni de vaccins, ni de la guerre en Ukraine, ni d’émeutes. Que des choses positives : les vacances, la mer, les jeux qu’on pourrait faire… Je me suis prise vent sur vent.
Et puis je me suis faite surprendre : il faisait moche, il n’y avait personne, je me suis assoupie sur le sable, la queue dissimulée sous une grande serviette. Quand l’éclaircie m’a réveillée, je l’ai vu à deux pas de moi. Plus possible de me glisser discrètement dans l’eau ! Je lui dis bonjour avec une voix aussi douce que possible et je me dis : « Si je ne l’effraie pas, il va peut-être me parler. Et s’il s’enhardit, nous pourrions flirter un peu… » Et là, catastrophe ! Une rafale emporte ma serviette, je me retrouve toute entière visible, les écailles luisantes comme des paillettes sous le soleil. Le type se retrouve mâchoire pendante, les yeux exorbités par la surprise : « Une… une… » Je me dis : « Tout est fichu : il va s’enfuir en hurlant, rameuter je ne sais pas qui, il va falloir que je fasse des miles et des miles à contre-courant pour trouver un autre lieu de vacances encore plus morne. « T’es… T’es une SIRÈNE ! » C’est généralement à ce moment que les défenseurs du métissage réalisent que certains mélanges ne fonctionnent pas. Ou que l’on essaye de m’éventrer mentalement en se demandant combien de citrons et de beurre il faudrait pour me cuisiner en papillote. Bref, je suis dans la sauce…
« T’es une VRAIE sirène ! Ah, ça me rassure…
— Pardon ?
— J’ai cru que t’étais une meuf. Ah, mais c’est trop cool, ça ! Je m’appelle Samuel, et toi ?
— Marina.
— Mais c’est trop mimi ! Je peux m’installer à côté de toi ? Tu viens souvent ici ? »
Et voilà comment Sam est devenu mon pote tout le reste de l’été.
Illustration : La Sirène, par John William Waterhouse, 1900