Pourquoi les Françaises ne font pas le premier pas ?

Je suis sûr que vous ne vous êtes jamais posé la question. En tout cas, pas comme ça. Vous vous êtes plutôt demandé : « Pourquoi les femmes ne font pas le premier pas ? » Borner une question à une nationalité, c’est un truc d’institut de sondage (sonder plusieurs pays c’est plus cher, voyez-vous ?). C’est un client de l’Ifop qui leur a demandé de poser cette question à un échantillon de mille et une femmes « représentatif de la population féminine française âgée de 18 ans et plus » dont « [la représentativité] a été assurée par la méthode des quotas (âge et profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération », tout ça entre le 28 et le 30 juillet 2021. Le client, Love Advisor, est un site de conseil en rencontre et séduction, quelque chose comme ça… Si je mentionne tous ces détails, c’est qu’une loi de 2016 menace d’une amende plus que rondelette quiconque citerait un sondage sans mentionner les ingrédients et le temps de cuisson.

L’Ifop publie deux documents : un « rapport d’étude » qui livre les résultats sous forme de graphiques (barres et camemberts), et les « chiffres clefs » assortis des commentaires de la sondeuse Louise Jussian. Mais vous vous en fichez, hein ? Vous voulez juste avoir la réponse à cette fichue question. Voici l’analyse de Louise :

Loin d’être un sujet frivole, les comportements de séduction des femmes revêtent un véritable enjeu pour l’égalité des genres, et font apparaître le constat d’une société encore largement émaillée par un « sexisme bienveillant ». Cette étude nous révèle en effet que les normes de séduction sexistes sont encore ancrées dans l’imaginaire, y compris féminin. La « séduction à la française » incarnée dans les règles de galanterie semble encore occuper une grande place dans les représentations associées à la séduction, notamment dans les rapports hétérosexuels. Toutefois, à l’ère post me too, une friction émerge entre une adhésion persistante aux règles désuètes de galanterie et les signes encourageants d’une prise en main féminine. Il est en effet davantage accepté qu’une femme fasse le premier pas, et elles sont près de deux tiers à l’avoir déjà expérimenté. A la pointe de cette vague d’empowerment féminin, les trentenaires, les femmes ayant le plus confiance en elles ou les plus féministes semblent porter un nouvel idéal de séduction plus égalitaire.

Vous avez compris ? Moi non plus. C’est peut-être une réponse, mais pas à la question posée. Zut alors… Voyons si les données recueillies par les petites mains de l’Ifop peuvent nous aider à comprendre.

De manière générale, trouvez-vous normal qu’une femme prenne l’initiative d’un rendez-vous amoureux ?

Oui : 77%.

Non : 23%.

Formidable ! Les Françaises veulent faire le premier pas !

Personnellement, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec chacune des affirmations suivantes ?

En matière de séduction, c’est à l’homme de faire le premier pas : 43%.

Attendez… Je ne comprends pas. Comment se peut-il que 77% des Françaises trouvent normal que la femme prenne l’initiative, mais 43% trouvent que c’est quand même à l’homme de le faire ?

Et de manière générale, en matière de séduction, préférez-vous que ce soit…

Plutôt les femmes qui fassent le premier pas que les hommes : 10%.

Plutôt les hommes qui fassent le premier pas que les femmes : 90%.

Ah, voilà : les Françaises ne sont pas contre l’idée qu’une femme fasse le premier pas, à condition que ce soit une autre femme. À titre personnel, elles n’en ont pas du tout envie.

En matière de séduction, vous est-il arrivé de…

Faire le premier pas et d’aborder un homme/une femme qui vous plaisait avant qu’il/elle ne le fasse lui/elle-même ?

Souvent : 4%. Parfois : 23%. Rarement : 36%. Jamais 37%.

D’inviter un homme/une femme à un premier rendez-vous amoureux ?

Souvent : 2%. Parfois : 17%. Rarement : 26%. Jamais : 55%.

Les gens de l’Ifop en concluent que « 63 % des Françaises ont déjà fait le premier pas » et « 45 % des Françaises ont déjà invité une personne à un premier rendez-vous amoureux ». C’est bizarre… Moi, j’aurais dit que 4% abordent de temps en temps et 2% seulement vont jusqu’à inviter leur cible. Pour les autres, si c’est arrivé, c’était quasiment un évènement historique.

Au cours de votre vie, vous est-il déjà arrivé de « draguer » un homme/une femme qui vous plaisait ?

Là, ça se complique parce que les résultats sont classés en quatre catégories, divisées en trois à quatre sous-catégories, alors je le synthétise un peu :

Espace de sociabilité privé

Oui, au cours des trois dernières années : [2 à 4%].

Oui, mais il y a plus de trois ans : [10 à 31%].

Lieu de travail ou d’études

Oui, au cours des trois dernières années : [3%].

Oui, mais il y a plus de trois ans : [15 à 34%].

Lieu de sociabilité public ouvert

Oui, au cours des trois dernières années : [3%].

Oui, mais il y a plus de trois ans : [19 à 26%].

Via internet

Oui, au cours des trois dernières années : [4 à 6%].

Oui, mais il y a plus de trois ans : [16 à 18%].

Et soudainement, cette affirmation étonnante de l’Ifop :

Proportion total de femmes ayant déjà « dragué » une personne : 89%.

Ah ? Est-ce que la proportion de gens ayant déjà trempé leur lèvres dans un verre de vin renseigne sur la consommation d’alcool ? Je ne suis pas convaincu. Ce qui saute aux yeux dans ces chiffres c’est que les femmes ne draguent quasiment jamais (même pas une fois tous les trois ans), même dans les soirées entre amis et même sur les applications de rencontre !

Ensuite, l’Ifop demande aux Françaises si elles ont déjà dragué de manière directe (uniquement aux répondantes qui déclarent avoir dragué au moins une fois). Les résultats culminent à 25% dans un cadre privé, 26% au boulot, 32% au bar-à-mecs et 37% sur les applications de rencontre. Cela voudrait dire que les deux-tiers des femmes qui ont déclaré aux sondeurs avoir déjà dragué activement se sont contentées de faire allusion, devant leur cible, à ce qu’il y aurait peut-être moyen de moyenner s’il tentait sa chance, le grand nigaud. Après, c’était à lui de faire le premier pas.

La page suivante est passionnante, je vous la livre dans toute sa splendeur chamarrée, telle que l’ont conçue les artistes de l’Ifop :

Les freins à la drague féminine

Ce qui est intéressant, c’est la répartition des réponses selon la beauté présumée des répondantes :

• Les moches ne veulent pas risquer d’essuyer un refus. C’est aux garçons de se prendre des râteaux, n’est-ce pas ?

• Les « très jolies » n’ont pas le temps de draguer, elles sont souvent sollicitées. Naturellement, elles n’ont aucune expérience de la séduction : ça marche sans effort pour elles !

• Et les moyennes (auto-évaluées « assez jolies ») ? Elles sont retenues par la crainte d’être perçues par les autres femmes comme une moche qui tente une manœuvre désespérée. Et quoi d’autre ? « Oh, et puis zut ! C’est à l’homme de faire les efforts, un point c’est tout. »

Pour finir, l’Ifop se préoccupe de savoir qui paye l’addition.

En général, qui de vous ou de la personne avec laquelle vous avez rendez-vous paye l’addition lors d’un premier rendez-vous amoureux ?

La personne avec laquelle vous avez rendez-vous : 53%.

Vous partagez l’addition : 43%.

Vous : 4%.

L’idée même de poser cette question suggère que « les normes de séduction sexistes sont encore ancrées dans l’imaginaire, y compris féminin », comme disait Louise Jussian. Pourquoi doit-on se donner rendez-vous dans un lieu où l’on mange et boit ? Il me semble qu’un « nouvel idéal de séduction plus égalitaire » pourrait dispenser l’homme de faire étalage de sa capacité à approvisionner la femme. On pourrait passer directement aux galipettes, chère Louise, au lieu de manifester « une adhésion persistante aux règles désuètes de galanterie ». En tout cas, les Françaises ont horreur de payer l’addition, ou alors juste leur part.

À ce stade, il me semble bien établi que la conclusion de Louise sur « l’empowerment [émancipation] féminin » ne tient pas la route. L’opinion que les Françaises se font de leur capacité à séduire « égalitairement » n’est pas corroborée par leurs actes. L’idéologie de l’époque est une chose, mais le désir réel est tout différent.

Le rapport d’étude de l’Ifop détaille le profil des répondantes selon diverses variables, certaines inattendues telles l’indice de masse corporelle ou la taille des bonnets de soutien-gorge. Pour y voir plus clair, j’ai placé les variables intéressantes dans le tableau ci-dessous. Pour chaque question, les réponses les plus « conservatrices » ont été mises sur fond bleu, tandis que les réponses plus « progressistes » ont été mises sur fond rose.

Tableau des profils des femmes selon leurs opinions sur la drague

Tout en bas, on peut voir que les lesbiennes sont systématiquement plus entreprenantes que les hétérosexuelles. Quelle surprise ! Dans le milieu lesbien, ce sont plutôt les femmes qui font le premier pas ! Merci l’Ifop, nous avons vraiment appris quelque chose aujourd’hui. On peut en déduire que les efforts de drague des femmes interrogées, déjà rares, le seraient encore plus si l’on n’avait pas mélangé les lesbiennes avec les hétérosexuelles. Dommage pour « l’empoweurmente féminin ».

Sur la variable beauté, la situation est presque aussi tranchée : les « très jolies » sont apparemment hyper-progressistes, prêtes à prendre l’initiative, à draguer (même ouvertement!)… Mais pas à payer l’addition. Ça non. Les moches, c’est l’inverse : pas d’initiatives, que du traditionnel. Mais elles veulent bien payer l’addition (ou, plus probablement, leur part de l’addition). Les « très jolies » ont une haute idée de leur Valeur sur le Marché Sexuelle qui peut les rendre entreprenantes, mais pas progressistes quant au rôle de l’homme comme source de satisfactions matérielles. Les moches, conscientes de leur faible VMS, ne prendront pas de risques et attendront patiemment le Prince charmant. Mais elles sont prêtes à ne pas trop lui coûter, quand il se présentera, pour ne pas le faire fuir.

Les brunes sont plus conservatrices que les blondes. La blondeur est un signe de juvénilité dont il a été montré qu’elle exerce la même attraction inconsciente sur les hommes que la taille des seins. L’attractivité des brunes étant moins forte, leur stratégie se rapproche quelque peu de celle des moches, jusque dans le choix de payer (leur part de) l’addition.

La situation des bonnets A est différente. Certes, elles manquent d’appâts mammaires, mais ça ne les empêche pas d’être assez jolies, très jolies, voire très jolies et blondes, avec une ravissante chute de reins. C’est la variable qui manque, d’ailleurs : le rapport taille-hanche, crucial pour allumer le désir masculin (c’est ce qui déterminait les chances de survie de la mère et de l’enfant avant l’accouchement médicalisé). Les petits bonnets sont dans la compétition, mais avec un handicap. Leurs opinions sont naturellement tout l’inverse de celles des gros bonnets.

Le même phénomène est à l’œuvre, encore plus visible, chez « les maigres », qui figurent souvent parmi les bonnets A (et réciproquement). Elles n’ont pas tous les atouts, mais elles sont nettement plus offensives que les autres femmes. Pensez-donc ! 37% auraient déjà dragué, en vrai, au moins une fois dans leur vie ! (Rappel : durant les trois dernières années, 4% maximum dans la vraie vie et 6% maximum sur l’internet. Le reste, ce sont des souvenirs un peu flous.)

Enfin, examinons les effets de l’âge. Avant 30 ans, on préfère que les hommes prennent l’initiative, on s’invite l’un l’autre et on se fiche de qui paiera l’addition. Et à 30 ans… Paf le Mur ! La désirabilité commence un peu à décliner (elle suit exactement la fertilité), la concurrence de la nouvelle génération de vingtenaire se fait sentir : il est temps de descendre du manège et de s’établir dans une « relation sérieuse ». Tout d’un coup, la trentenaire prend des initiatives, tout en regrettant désormais que des femmes comme elle aient à faire le premier pas. Si ses efforts de drague allusive ne sont pas compris par Julien, Romain ou Kevin, elle ira même jusqu’à lui lancer une invitation. Mais il aura intérêt à payer l’addition, pour preuve de sa capacité à approvisionner sa compagne et ses enfants dans leur future vie de couple.

Nous pouvons maintenant répondre à la question : pourquoi les Françaises ne font-elles pas le premier pas ?

Parce que les femmes, Françaises ou pas, se montrent instinctivement plus sélectives que les hommes. L’homme idéal est celui qui assurerait au mieux les fonctions de parentalité, d’approvisionnement et de protection. Il serait grand, fort, intelligent, créatif, audacieux, tendre et généreux avec elle et sa progéniture mais indifférent aux autres, capable de balayer tous les obstacles et de gravir les échelons de la hiérarchie sociale jusqu’au sommet. Et d’être une super affaire au pieu, il va sans dire. Cet oiseau rare est si difficile à trouver que les femmes sont prêtes à l’espérer longtemps, très longtemps… trop longtemps. Passé 30 ans, elles n’acceptent que modérément de réviser leur stratégie instinctive pour une attitude un peu plus active et « égalitaire ».

Comme nous l’avons vu, certaines catégories de femmes sont un peu moins attentistes que les autres. Si vous souhaitez rencontrer une femme qui fera le premier pas, fréquentez des trentenaires maigres à tous petits seins, plutôt blondes ou châtaines. Si votre Valeur sur le Marché Sexuel lui semble dépasser la sienne, il se pourrait qu’elle vous drague un peu, par allusion. Soyez attentifs. L’occasion sera brève, peu claire, et la meilleure façon de la saisir sera de prendre aussitôt l’initiative, l’inviter à bouffer et payer l’addition. Vous lui offrirez ainsi le « sexisme bienveillant » dont elle rêve depuis la nuit des temps.

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