Polyamour tragique 5

Le Monde, 11 novembre 2003

Pauline Delcourt est décédée cette nuit à Moscou d’un œdème cérébral. Elle avait été admise dans le coma à L’European Medical Center dans la nuit du 4 août 2003 suite à une violente altercation avec sa compagne Paula Zingermann, leader du groupe rock Paula-X. Cette dernière est actuellement incarcérée à la prison de la Boutyrka pour coups et blessures, un motif aujourd’hui caduc. Un juge a d’ailleurs été nommé par la chancellerie et une investigation policière a débuté dès l’annonce du décès de la comédienne. Le ministre de la justice russe a d’ores et déjà exprimé son souhait d’un procès rapide et exemplaire, « afin, dit-il, de montrer au monde que la Russie est une démocratie moderne. »

Libération, novembre 2003

Ils ont tout essayé. S’en remettre au personnel russe de L’European Medical Center, sans succès. Le gouvernement français a alors envoyé Étienne Dejardin, le « neurochirurgien des stars », un coup pour rien. Faute de mieux, le corps médical a préféré plonger Pauline Delcourt dans un coma profond, et sa famille dans la détresse.

Depuis trois mois, l’entourage de la comédienne se relaie à son chevet. Une mécanique bien huilée. C’est son père, alors en Russie, Jean-Paul Delcourt, qui a informé l’ensemble de la famille de la triste nouvelle.

Que s’est-il passé dans la suite de l’hôtel Ukraine, occupée par le couple et leurs enfants cette nuit d’août 2003 ? Les témoignages convergent pour parler d’une altercation. Ce soir-là était un beau moment. Marie Delcourt fêtait la fin du tournage de Marie, l’épisode consacré à Marie Curie d’une série de téléfilm dont l’actrice incarnait le rôle-titre. Cette fête était l’heureuse conclusion de longs mois d’un dur labeur pour toute l’équipe, fière de la tâche accomplie.

Pauline Delcourt et sa compagne, Paula Zingermann ont rejoint un technicien russe chez lui pour boire un verre, puis deux. Personne n’ignore le goût immodéré des deux femmes pour les excès et l’alcool. Tard dans la soirée, de retour, elles ont continué à boire, des sources proches de l’enquête parle aussi de stupéfiants. On sait que Paula était d’une jalousie maladive.

À 04h00 du matin, Paula a téléphoné à l’ex-conjoint de Pauline, Robert Melchior, pour l’avertir d’un problème. « Elle semblait dormir » dira-t-il plus tard.

Rouge, novembre 2003

« La lecture du journal est la prière laïque du matin de l’homme moderne » écrivait Hegel. La une des quotidiens du jour sont toutes consacrées au « Drame », un banal fait-divers, disons-le, mais qui a lieu chez les nantis, une preuve supplémentaire de la vassalité de la presse libre dans nos démocraties bourgeoises.

Qu’en est-il vraiment ? Pauline Delcourt est morte. Dommage, trois mois de coma supplémentaires, c’était autant d’articles élogieux sur cette comédienne si populaire. Une actrice ? Un clan plutôt, les Delcourt sont une mafia, Paula Zingermann n’avait pas compris, qui croyait être accueilli les bras ouverts par les parents de la femme qu’elle aimait. Las ! C’était sans compter le réflexe de classe. Qui était-elle cette gueuse sans pedigree ? Fille d’un prolo et d’une ancienne prostituée, elle n’avait pour elle et comme seul viatique que sa voix et sa rage.

La rage d’être née du mauvais côté de la voie de chemin de fer, à l’est de la ville, dans les fumées de l’usine. La rage de n’avoir pas d’autre avenir que de vendre ses bras, son corps, sa vie. Rage de vivre au pied des murs du château et de n’avoir de la fête que les restes et les bruits.

On la dit « hystérique », facile ! « Jalouse », facile encore ! Mais « vengeresse » ? Jamais ! « Luttant pour la justice » ? Encore moins. Paula est un porte-parole quand il nous faudrait des fusils. Car le spectacle d’une bourgeoisie repus et indécente, pleurant sa morte quand des milliers d’entre nous meurt chaque jour des cadences infernales, perdent leurs vies pour un salaire de misère, sans nous ! Ce matin la prière avait un goût de sang et de justice.

Marie-Claire, novembre 2003

Que s’est-il passé ? Pour quelles raisons les deux artistes se sont-elles violemment disputées ?

Certes, il y avait de l’alcool, certes il y avait aussi d’autres substances. Mais surtout, on sait Paula Zingermann jalouse, de manière maladive et malsaine, de sa compagne. Un sentiment brûlant comme un feu de cendre et qui ce soir s’est révélé être un magma bouillonnant.

Il a suffi d’un simple SMS, « Je compte sur toi ! », envoyé par Robert Melchior, l’ex-compagnon de Pauline et père de son dernier enfant, pour que se réveille le volcan. Mais cette phrase, d’une nature strictement professionnelle ne plaît pas à la chanteuse, haïssant tous ceux qui approchent de « sa femme ! » et déjà, elle perd le contrôle…

C’est Paula Zingermann paniquée, dont Melchior refuse de dire le prénom maintenant, devenue un monstre enragé qui est la cause du coma de Pauline Delcourt, la comédienne au regard de chat. La musicienne appelle Robert Melchior plusieurs fois pour lui demander ce qu’elle doit faire. La chanteuse explique alors que Pauline dort dans le lit où elle a réussi à la porter après l’avoir rouée de coups.

Pauline est-elle encore vivante à cet instant ?

« Je l’ai giflée, avoue Paula à Robert, on s’était disputé, elle hurlait. Elle m’a bousculée, j’ai heurté le mur et j’ai ressenti une grande douleur dans le dos » nous répétera-t-il plus tard, et toute la discussion. « Je ne comprends pas ce qui se passe. Je suis à des milliers de kilomètres et j’ai toujours trouvé Paula insupportable, mais je continue de l’écouter m’expliquer en pleurant que ce n’est pas sa faute. Pendant un moment, elle parle à Pauline, téléphone en main. Je l’entends exprimer l’espoir, aujourd’hui inutile, que Pauline se réveille et que la vie reprenne son cours. Mais c’est trop tard, à ce moment j’ai eu la certitude qu’elle ne se réveillerait pas. Nous parlions aux morts ! »

Aujourd’hui, Robert Melchior dit se sentir effroyablement coupable de n’avoir pas pu sortir Pauline de l’emprise d’une femme psychologiquement instable et hystérique. Des regrets qui l’accompagnent dorénavant, lui ainsi que son fils, orphelin par la faute de la violence rageuse et maladive d’une chanteuse de rock, incapable de se contenir dans la vie comme à la scène. Plusieurs personne proche de Paula Zingermann parle de sa personnalité difficile, charismatique et manipulatrice, une « perverse narcissique » va jusqu’à préciser un membre du groupe, capable de tout pour arriver à ses fins. « Un état qui se caractérise par une haine du monde en entier, nous précise le Docteur El-Salem, psychologue à la Pitié-Salpêtrière. L’autre n’a aucune existence tangible, le pervers n’intègre pas la loi, il la comprend et en joue, il la contourne en sachant que c’est la loi. Le pervers n’accepte pas le “non”. Il n’est soumis qu’à la règle de son bon plaisir, à sa jouissance érigée en norme. L’autre doit donc être soumis, il n’a plus aucune liberté, le pervers est un enfant de cinq ans dans un corps d’adulte. »

Tout a été dit, tout est à redire.

Têtu, janvier 2004

Le procès de Paula Zingermann commencera demain à Moscou. Bien qu’ils ne puissent plaider, les avocats de la famille Delcourt sont déjà arrivés, ceux de la chanteuse ne devrait pas tarder.

À ce jour, la chanteuse est accusée de « coups mortels ». Selon le droit russe, elle risque jusqu’à quinze ans de prison. L’enquête ayant montré que Pauline Delcourt est tombée dans le coma à la suite d’une violente dispute où elle a reçu pas moins d’une dizaine de coups. L’expertise légiste conclut : « L’ensemble des gifles et coups, ainsi que les violents mouvements de va-et-vient sont responsables des traumatismes et des lésions mortelles observées. »

Le même jour, Vera Kondakov, militante des droits LGBT était condamnée à quatre années de camps pour « activisme ». « La Russie est un pays célébrant l’hyper-masculinité — le gouvernement soutient activement la haine à travers sa rhétorique et sa législation — et l’alcool » déclarait-elle lors de son procès.

Maria Alekhina, membre de Pussy Riot, a dénoncé les tortures subit par les homosexuels dans les prisons russes en installant des banderoles sur les murs de l’édifice du Service pénitentiaire.

Car on n’est pas libre de s’aimer selon son cœur ici. Un homme, ça va avec une femme et réciproquement. Il ne fait pas bon être lesbienne, gay, bisexuel ou transgenre sur les terres du tsar Poutine. Entre les groupes de militaires religieux et ultra-conservateurs, les hooligans ou les cosaques organisant des « chasses aux pédés », le danger est réel et constant. « Nos valeurs placent la foi orthodoxe et la famille au premier plan : si l’on voit deux hommes s’embrasser, on les dénoncera et leur sort sera entre les mains de la police » annonce le chef d’une milice « populaire » de Rostov-sur-le-Don.

La même semaine, à Saint-Pétersbourg, deuxième ville du pays, c’est trente militants LGBT qui ont été interpellés alors qu’ils manifestaient pacifiquement pour les droits des minorités sexuelles. C’était au total, une soixantaine de personnes qui s’étaient rassemblées, portant des drapeaux arc-en-ciel et des pancartes, nous expliquait Alexeï Nazarov, l’organisateur.

Des purges ont lieu régulièrement en Tchétchénie, où le simple fait d’avoir une orientation sexuelle ou une identité de genre, perçue ou réelle, différente est un crime.

C’est dans ce contexte, celui d’une nation violemment homophobe et anti-féministe, que s’ouvrent les audiences. Or, Pauline aimait Paula, deux femmes amoureuses, et ça, ça ne passe pas. « Ainsi le poisson vit dans l’eau, mais il ne peut bondir hors de celle-ci pour voir à quoi elle ressemble » disait l’écrivain chinois Lao-She, une façon poétique de dire que le fond de l’air est frais pour Paula Zingermann, un arrière-plan dont les juges ne pourront se défaire au moment de se prononcer. C’est pourquoi nous demandons à tous nos militants de se manifester par tous les moyens possibles, en France et en Russie, pour que la justice soit rendue avec impartialité. Nous resterons vigilants et nous demandons au gouvernement français de l’être avec nous.

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