— C’est long…
— Courage, nous y sommes presque.
— Encore un peu et nous aurons aboli toutes les discriminations, tous les préjugés et tous les stéréotypes ! Qu’est-ce que tu verses, là ?
— C’est une loi contre les discriminations capillaires. En tant que rousse, je me sens souvent oppressée, mise à l’écart.
— Oh, ma pauvre ! Moi, je souffre d’être si brune. Si banale…
— Oui, bon… Vous êtes toutes brunes. Je suis la seule rousse parmi les cinquante filles du roi Danaos.
— Justement ! Tu as de la chance, tu sors de l’ordinaire. On te regarde.
— Mais c’est ça qui m’oppresse ! Je ne veux pas qu’on me regarde sans mon consentement.
— Et bien, couvre ta chevelure. Ou fais-toi une teinture.
— Là, tu vois, tu me discrimines. Tu veux m’imposer ta couleur de cheveux.
— Mais tu me gonfles, à la fin ! Tu es la seule de nous toutes qui ait un petit truc en plus, et tu fais ta rouquemoute geignarde pour rien…
— Non, mais… Écoute-la ! Écoute la ! Elle m’a appelée « rouquemoute ».
— Gorgophoné, fous-nous la paix avec ta tignasse. Personne n’a choisi la sienne. Continue de verser. Tant que nous n’aurons pas rempli ce vase d’égalité à ras-bord, nous vivrons en enfer. Qu’est-ce que tu as dans le prochain pot ?
— Une loi pour interdire de dire des choses malaisantes, même en privé.
— Parfait. Nous allons continuer à en verser. Nous finirons bien par y arriver, et alors… Nous serons libres !
Illustration : Les Danaïdes, par John William Waterhouse, 1903