— En effet, tu n’es pas sans beauté, étranger. Ta longue chevelure qui n’est pas d’un lutteur, mais se répand le long de tes joues, respire le désir. Tu soignes la blancheur de ton teint ; c’est à dessein que tu le gardes à l’abri des coups de soleil et dans l’ombre, pour captiver Aphrodite par ta beauté. Mais d’abord, dis-moi quelle est ton origine.
— Oui, et sans nulle jactance : rien ne me sera plus facile. Tu connais sans doute, pour en avoir entendu parler, le quartier du Marais, à Paris ?
— Je le connais ; tout est cher et l’on y mange mal.
— C’est de là que je suis. Le Cox est ma patrie.
— D’où vient que tu apportes ces mystères en Grèce ?
— C’est Dédé, heu… Dionysos qui m’a introduit, le fils de Zeus.
— Il y a donc là-bas un Zeus qui engendre de nouveaux dieux ?
— Non, bien sûr. C’était une GPA.
— Est-ce la nuit, en songe, ou face à face que tu as reçu cet ordre ?
— Je le voyais, il me voyait : il m’a confié les Orgies.
— Ces Orgies, que représentent-elles pour toi ?
— Elles seront le contraire d’une histoire virile, héroïsée, dans un spectacle qui déjouera avec humour les clichés et dépassera les fameuses valeurs philosophiques traditionnelles. On ne peut pas comprendre tant qu’on n’est pas initié aux mystères inclusifs.
— Que gagne-t-on à les célébrer ?
— Il y aurait sacrilège à te les dévoiler, mais elles méritent d’être cul nul, heu… connues. Mais je vais te donner un avant-goût. Il y aura des Bacchantes et des Bacchants, et l’on ne saura lesquels sont lesquelles.
— Tu as bien fardé ta réponse à ma question.
— Les Orgies détestent ceux qui ne sont pas invités.
— C’est ici le premier pays où tu es venu introduire ta divinité ?
— Non, j’ai déjà été en vacances à Marrakech.
— Ce culte, est-ce la nuit ou pendant le jour que tu le célèbres ?
— La nuit, le plus souvent : l’obscurité a quelque chose de grand.
— Elle est perfide et malsaine pour les femmes.
— Les Bacchantes ? Le jour aussi, comme tu vois, elles ne dessaoulent jamais.
— Remets-moi ce tire-bouchon que tu tiens à la main.
— Arrache-le-moi, toi : il est à Philippe Katerine.
— Où est-il ? Il n’est pas visible, du moins à mes yeux.
— En quelque sorte oui, il passe à la radio tout nu. Tiens ! Je le vois qui arrive, sur un âne.
— Bon, vous me fatiguez tous et ça pue la vinasse. Que les moins cuites ramassent les plus bourrées, et fichez-moi le camp d’ici.
— Décidément, la Grèce n’est plus ce qu’elle était !
— Allez-vous faire voir chez les Parigots, satyres équivoques et pochtronnes impudiques. Et foutez donc la paix aux sobres et aux simples. C’est eux qui payent de leur sueur vos bacchanales.