À mère, tango

– Je baise pas !

Agnès avait la beauté d’une rêverie d’enfance, sévère et nécessaire comme la joie d’une nourrice. Un corps osseux et un teint blafard, des yeux bicolores, un sourire sincère.

En général, les gens ressemblent à ce qu’ils sont.

Je passais la Toussaint avec ma mère à Carnac Plage. Dans une maison de location avec vue sur la mer. Mon père venait de la quitter pour une jeunette et elle ne disait rien, continuait à prétendre qu’il ne s’était rien passé. Elle a juste consenti à préciser : « C’était payé et j’avais posé mes congés. »

Au premier novembre, la ville fut plongée sous un déluge sans pareil depuis l’invasion de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant : un rideau de pluie impénétrable, comme une attaque d’archers anglais. Le jour rendait grâce et se retirait, laissant la rue aux ténèbres. J’étais sur la plage quand la pluie a commencé. Les services municipaux n’avaient pas terminé de démonter les tentes qu’ils installaient pour la saison estivale, il en restait une encore debout. J’ai couru y trouver refuge.

Agnès était déjà à l’abri, c’est comme ça que nous nous sommes rencontrés, coincés sous une même bâche par une tourmente de fin du monde.

Agnès vivait avec son oncle et sa tante, un couple de locaux, rares habitants à l’année de Carnac Plage. L’oncle était marin pêcheur, quant à sa tante… j’ai oublié, peut-être que je ne l’ai jamais su.

– Je veux plus avoir mal ! m’avait précisé Agnès, mon copain est d’accord.

Elle parlait d’une voix blanche avec un débit lent, entrecoupé par ses prises d’air. Toutes nos nuits se ressemblaient. Chez ses tuteurs ou chez ma mère, elle ne se déshabillait qu’à la tombée du jour, rideaux tirés et volets fermés. Mais elle gardait ses sous-vêtements.

J’avais interdiction « d’aller en bas », ni doigt dans la chatte, ni langue fourrée. Je ne pouvais pas non plus lécher ses tétons ou caresser sa poitrine.

On s’embrassait à se déboîter la mâchoire. Ses lèvres avaient le goût des adieux sur un quai de gare.

– Gode-moi ! ai-je ordonné la première fois.

Sans aucune hésitation, elle a introduit son majeur dans mon cul, ma bite dans sa bouche et m’a branlé avec vigueur.

Nous ne dormions jamais…

– Je n’ai pas envie de te voir, criait-elle au téléphone, j’en ai besoin !

Elle voulait que je disparaisse de sa vie. Que je coule au large de l’île d’Ouessant, comme le Drummond Castle en 1896. Elle revenait toujours avec la haute mer et je l’attendais devant le Yacht Club. Elle me racontait sans cesse et encore notre première danse au bal organisé par la mairie — un tango de Pugliese — son cœur qui s’emballe et elle qui tremble quand je la prends dans mes bras, son visage en sueur, ses jambes qui se dérobent…

Je suis devenu fou de sa folie. Je n’existais pas, il n’y avait qu’elle et son hallucination.

Il y avait cete chanson de Pugliese, il y avait l’urgence d’une dernière dose, mais elle ne baisait pas.

Elle avait un mec. Elle était sûre qu’il ne la trompait pas. Quel con ! Elle ne baisait pas.

Ses parents, morts quand elle était jeune. Son frère, qui ne savait rien. Elle ne baisait pas.

Elle parlait pas beaucoup d’elle, c’était une Bretonne, pur beurre, une taiseuse. J’ai cru qu’on l’avait violée. J’aimais l’idée, ça me donnait des airs de gars à la coule, de sauveur. J’avais une mission. Mais elle ne baisait pas !

Elle a fini par se sentir coupable de ne pas avoir avec moi ce qu’elle n’avait plus avec son copain. Elle a eu peur qu’il découvre qu’elle le trompait en ne baisant pas ailleurs !

Notre dernière nuit a ressemblé aux précédentes. Quand je me suis réveillé, elle était habillée et apprêtée, un peigne rose à la main. J’ai exhibé mon sexe tendu.

– Tu veux que je te suce ? a-t-elle demandé.

Je n’ai pas répondu.

Elle s’est relevée, un filet de salive et de sperme mélangé ourlait le coin de sa lèvre inférieure.

– Il faut que j’y aille, a-t-elle dit en regardant l’heure sur sa montre, c’est marée basse.

(À suivre…)

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