Les choix d’études des femmes expliquent-ils une partie des différences salariales avec les hommes ?

Je sais que vous êtes pressé de retourner regarder des vidéos rigolotes sur votre réseau social préféré alors, pour ne pas abuser de votre attention fluctuante, je vous livre tout de suite la réponse : oui.

Pour ceux qui auraient un peu plus de temps à consacrer à la lecture, suite sans doute au blocage de leurs comptes, ce billet va examiner les choix d’études universitaires typiques des étudiantes et des étudiants, et comparer les salaires obtenus après l’obtention du diplôme. Sur le sobre mais élégant graphique ci-après, j’ai placé diverses filières en fonction de leur taux de féminisation (sur l’axe horizontal) et du salaire mensuel médian à temps plein déclaré par les diplômés après leur entrée sur le marché du travail (sur l’axe vertical). La palette de couleur, subtile et du meilleur goût, situe chaque discipline dans son domaine : sciences, technique et santé (STS), droit, économie et gestion (DEG), sciences humaines et sociales (SHS), lettres, langues et arts (LLA) et le master consacré à l’enseignement (MEEF).

Salaire net mensuel médian à temps plein par domaine et discipline, 30 mois après l'obtention du master et proportion de femmes dans la discipline

On peut ainsi, en un seul coup d’œil, constater que les femmes choisissent préférentiellement les études littéraires et artistiques, les sciences humaines, l’enseignement et dans une moindre mesure le droit et l’économie. Elles boudent globalement les sciences de la nature, surtout les sciences de l’ingénieur. Je regrette de ne pas avoir pu inclure les études médicales, absentes du jeu de données puisque n’étant pas sanctionnées par un simple master. Cette préférence féminine pour les disciplines universitaires « sociables » est caractéristique des pays à haut niveau d’égalité entre les sexes.

Second constat tout aussi voyant : les études plébiscitées par les jeunes femmes débouchent sur des salaires très sensiblement inférieurs aux études favorites des jeunes hommes. Il serait difficilement concevable que des bachelières abondamment informées par les nombreuses publications consacrées à l’orientation estudiantine, libres de leur choix et largement encouragées à conquérir les territoires professionnels encore masculins puissent ignorer quels débouchés économiques correspondent à leur filière de prédilection. En somme : on ne s’inscrit pas en lettres ou en psycho-socio pour gagner de l’argent. Et on le sait dès le départ.

Une objection fréquente (ou plutôt une diversion !) est de supposer que les métiers féminisés soient moins bien payés précisément parce qu’ils sont occupés majoritairement par des femmes. Il me semble aller de soi qu’un ingénieur, un chimiste ou un informaticien détient un savoir plus recherché qu’une journaliste, une sociologue ou une historienne de l’art. L’enseignement est un monde à part : un prof de mathématiques sera payé comme une prof de lettre alors qu’il pourrait faire une carrière fructueuse ailleurs. S’il reste, c’est sans doute par goût des vacances, et cela suffit de moins en moins à susciter des vocations. Mais admettons que la valeur économique supérieure des filières scientifico-techniques ne soit pas si évidente. Sachant qu’elles sont « arbitrairement » mieux payées, une étudiante n’aurait-elle pas intérêt à s’y inscrire ? Regardons les différences de salaires entre les hommes et les femmes au sein de chaque discipline :

Différences de salaire net mensuel médian entre hommes et femmes par domaine et discipline, 30 mois après l'obtention du master

À l’exception des mathématiques et d’une paire d’autres filières, les écarts de salaires semblent plutôt moindres dans les sciences matérialistes que dans les sciences sociales, et nettement moindre que dans les sciences juridiques et financières. Il est même favorable aux femmes en chimie et en physique ! (Peut-être est-ce le résultat des efforts de la société toute entière, y compris les entreprises privées, pour aller vers une égalité si peu spontanée ?) Du point de vue de l’intérêt économique de l’individu, les femmes auraient toutes les raisons d’opter plus souvent pour l’étude des sciences de la nature, l’ingénierie, etc. On ne peut pas découpler le choix d’études sympas mais pauvres en débouchés et les conséquences moins sympas en terme de revenu au cours de la vie professionnelle. Autrement dit : les femmes choisissent, en même temps que leurs études, de gagner moins d’argent que les hommes. On pourrait disserter longuement sur les raisons de cette apparente indifférence des femmes à leurs revenus propres, mais c’est un sujet pour un autre billet.

Précédemment, nous avions vu que :

Et à présent :

  • Les femmes optent pour des études conduisant à des professions moins rémunérées.

En rassemblant ces trois constats, on comprend mieux les écarts de rémunération entre les sexes, en dépit de la domination déjà ancienne des études supérieures par les femmes. De plus, la doléance si souvent médiatisée : « Les femmes gagnent moins à niveau de diplôme égal, c’est injuste ! » trouve ici sa réponse. Un niveau de diplôme n’est pas la promesse d’un niveau de salaire. Il y a des diplômes plus prisés que d’autres, à niveau égal, et des façons de faire carrière plus productives que d’autres. Pour empêcher cela, il faudrait passer à une économie totalement fonctionnarisée où même les salaires du privé seraient ajustés à la grille de la fonction publique. Dirigeants d’entreprise, méfiez-vous : la complaisance envers les exigences féministes pourraient bien vous rapprocher de ce scénario.

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