Que faire face au harcèlement scolaire, malgré ta mère ? (2)

Si vous n’avez pas lu la première partie, je vous recommande de le faire maintenant. Cela évitera de vous faire une idée fausse de ce qui m’amène à suggérer des réponses si peu convenables à la question posée dans le titre.

Pour la bonne compréhension de la suite de mon propos, je vais maintenant proposer une typologie simple des persécutions en milieu scolaire :

Stade 1 : Le harcèlement est purement verbal ou autrement symbolique (ostracisme, vol ou dégradation des affaires personnelles, photos, ragots, graffitis, etc.).

Stade 2 : Le harcèlement donne lieu à des sévices physiques sans conséquences irréversibles.

Stade 3 : Les atteintes physiques peuvent engendrer des blessures graves ou la mort. (Mais pas spécifiquement le suicide, qui peut résulter tout aussi bien des stades 1 ou 2.)

Commençons par le plus facile : le stade 3.

Que faire face au harcèlement scolaire de stade 3 ?

Un ami me racontait récemment ses souvenirs d’école. Il a grandi en Seine-Saint-Denis. Petit gars tout sec, il n’en imposait pas physiquement mais avait un rude caractère. Dès la rentrée, il allait se colleter avec les garçons les plus dominateurs de la cour de récréation. Il en prenait plein la gueule et y retournait aussitôt, jusqu’à asseoir sa réputation de petit dur qu’on n’emmerde pas. Mais cette stratégie téméraire ne dura que le temps de l’enfance et du début de l’adolescence. À un certain point, les dominants ne furent plus seulement des gosses insensibles, avantagés physiquement par une ou deux années de redoublement. C’étaient devenu des quasi-délinquants dont certains avaient déjà infligé des blessures au couteau à leurs rivaux. Conscient du danger, mon ami se tint désormais à la plus grande distance possible des jeunes caïds. Rétrospectivement, il pense que cela lui a évité de sombrer lui-même dans la délinquance.

Si vous vivez dans un lieu où vous êtes exposé à être blessé ou tué, dans ou hors de l’école, il n’y a qu’une solution : foutre le camp. Changez d’école, changez de ville, de département, fuyez chez vos grands-parents ou vos oncles et tantes, refusez de retourner dans votre établissement et prenez des cours à distance en attendant. J’entends déjà le chœur des gentils objecteurs écervelés : « Mais ce serait très difficile pour les parents de changer de lieu tout d’un coup ! Et puis ce n’est pas aux innocents de bouger. L’État DOIT faire quelque chose ! (Mais sans violences policières.) » Si vous trouvez cette objection raisonnable, allez lire un résumé de l’assassinat de Samuel Paty. L’enseignant a eu droit à une minute de silence, elle dure toujours. [Quelques jours après l’écriture de ce billet, Dominique Bernard était assassiné dans des circonstances similaires. Voyez comme l’État vous protège.]

Que faire face au harcèlement scolaire de stade 2 ?

Le Stade 3 regroupe des cas extrêmes, pour la plupart localisés dans certaines zones du territoire « bien connues des services de police ». Je l’ai traité parce que les gens qui voient le monde à travers un écran ont l’entendement trop engourdi pour percevoir autre chose que des extrêmes. Mais les cas rares et terribles ne sont pas très importants. Pas autant que les cas fréquents. Pour un gamin suicidé qui reçoit brièvement l’attention des médias et des réseaux, combien songent au suicide sans passer à l’acte ? J’en ai fait partie et seul l’instinct de conservation (aussi appelé « la trouille ») m’en a protégé. Il y avait aussi d’autres causes plus intra-familiales à mon désespoir — on n’envisage pas le suicide pour une seule raison.

Le stade 2 est certainement plus courant dans les établissements accueillant principalement des élèves des classes populaires, mais je doute fort qu’il soit inexistant dans ceux fréquentés exclusivement par la classe moyenne éduquée et propre sur elle. Il est assez peu différent du stade 1. La forme de l’humiliation est plus physique que verbale, mais la signification émise et reçue est la même.

Lorsque l’on s’ouvre à ses parents ou à d’autres adultes des agressions que l’on subit, on reçoit généralement une réponse pleine de bon sens et de retenue : « Il faut le dire aux surveillants. » Les mamans insistent que « C’est très mal de se battre. Il suffit de les ignorer et de le dire à la maîtresse. » Un enseignant chargé de l’éducation civique ajoutera volontiers une vertueuse ânerie telle que : « Il ne faut pas se faire justice soi-même. C’est le rôle des autorités. » Beau principe, mais inapplicable ici. On ne peut mettre un pion derrière chaque victime en permanence. Si on le pouvait, se serait pire : le persécuté se retrouverait dans la position d’handicapé à la charge d’un assistant, il ne serait même plus un enfant normal. Ai-je besoin de préciser que plus un gamin se plaint aux adultes, plus il risque des représailles de la part de ses persécuteurs, et pire : un mépris général de ses camarades, même ceux qui ne l’ont pas activement persécuté.

Le « c’est très mal de se battre » est une grave erreur. Oui, c’est mal de se battre pour faire le mal. Mais il est absolument nécessaire pour un homme de se battre quand la civilisation ne peut venir à son secours.

  • Ne pas le faire, c’est porter ensuite le poids de sa lâcheté et de sa soumission chaque jour.
  • Ne pas le faire, c’est être certain que cela recommencera bientôt puisque qu’on a accepté docilement le rôle de souffre-douleur.
  • Ne pas le faire, c’est encourager l’oppresseur à poursuivre sa carrière de petit salopard et faire d’autres victimes.
  • Ne pas le faire, c’est laisser sa maman croire qu’elle pourra garder son fils éternellement dans la petite enfance, à l’abri des dangers du monde, et elle a vraiment besoin de perdre cette illusion.

Je rappelle que je traite ici du harcèlement de stade 2. Le risque est faible : des bleus, des larmes, un coquard, des vêtements déchirés, rien de très grave. Beaucoup moins que l’abjecte soumission, la terreur permanente et l’abîme de la dépression.

Du temps de mes grands-parents, personne ne se serait effarouché que des garçons se mettent des peignées. Les belligérants auraient certes été punis pour leur « conduite de sauvages » (d’autant que les vêtements coûtaient cher), mais sans trop d’hypocrisie : les garçons sont des garçons, vaut mieux ça qu’une lavette… Aujourd’hui, un gamin de la classe moyenne amollie et matridominée se trouve coincé entre l’injonction de ses parents et éducateurs de ne pas se défendre sous peine de les décevoir, et le comportement brutalement normal des enfants d’autres milieux ou de plus fort tempérament. À la fin, on n’en parle même plus aux adultes, puisque ça a l’air de les ennuyer et qu’ils n’y peuvent rien.

Que faire face au harcèlement scolaire de stade 1 ?

La même chose qu’au stade 2 : riposter sur le même niveau, cette fois verbal et symbolique, sans chercher soi-même l’escalade vers la confrontation physique — qui viendra peut-être, puisqu’on refuse d’accepter le rôle de la victime soumise. Insultez les insulteurs, moquez-vous des moqueurs. Soyez franc, sûr de vous, arrogant s’il le faut. Soyez malin, soyez caustique, soyez même indulgent. Soyez fier de votre gueule, votre nom, vos particularités, votre famille (même si elle ne le mérite pas) et vos origines. C’est là que ça coince : où est donc passée la fierté des Français ? Surtout dans la classe moyenne à diplômes, si prompte à dédaigner son propre pays, sa propre culture, ses origines populaires pas assez lointaines, et regrettant parfois à haute voix d’avoir eu des enfants ! L’individu moderne, à la fois globaliste et égocentré, ne sais plus très bien ce qu’est l’amour — sauf l’amour de son nombril. Comment pourrait-il communiquer à son enfant la solide confiance en soi dont il manque lui-même ? Comment pourrait-il lui communiquer du courage alors qu’il a peur de tout ? Comment pourrait-il envisager que son fils affronte une situation difficile quand lui-même a pris l’habitude de payer pour que l’État ou un prestataire privé règle ses problèmes à sa place ? Comment pourrait-il faire croire à la force des liens familiaux quand lui-même se conçoit comme un individu à la poursuite de sa seule jouissance, délié de toute appartenance collective ?

Pour traumatiques que furent mes années dans le primaire et le secondaire, je ne trouve pas, aujourd’hui, que les persécutions de mes vilains camarades aient été la part la plus moche de mon enfance. Je dois bien plus de peine aux injonctions ridiculement contradictoires de mes parents, à l’hypocrisie de notre milieu, à l’éloignement de mes grands-parents, à l’indifférence ennuyée des adultes, aux insultes mécaniquement adressées par le système scolaire à tous ceux qui ne sont pas les premiers de la classe, à l’autoritarisme doucereux et maternant d’une époque où l’espace d’autonomie des gamins finit par se réduire à leur chambre. Au manque de sincérité. Au manque d’amour. Au manque de joie, tout simplement.

En comparaison, les brutalités des gosses de mon âge étaient au moins des marques d’attention franches. J’existais dans leur univers, pour ce que j’étais, même si j’y tenais une mauvaise place. Ils m’ont beaucoup appris, ces enfoirés, et en particulier ceci : je suis peut-être un intello-nigaud, trop placide et trop peu conquérant, mais je ne suis pas fragile. Et vous ne l’êtes pas non plus. Le modèle du garçon moderne, frêle, émotif, éternellement enfantin et égal-mais-inférieur aux filles n’est qu’un envoûtement récent, une anomalie de l’Histoire. Nos ancêtres, il y a très peu de générations, n’étaient pas cela. Regardez l’âge auquel ils entraient dans le travail. Regardez l’âge auquel ils prirent les armes. Recrachez le philtre sirupeux, rejetez l’image de faiblesse et de soumission peureuse, et vous retrouverez votre nature : hommes, vous êtes le sexe hardi, vous êtes le sexe optimiste, vous êtes le sexe ardent. Alors les rudesses des autres hommes vous apparaîtront pour ce qu’elles sont : une chance de prendre votre place parmi eux.

Foire aux objections

La violence, c’est mal !

Ça dépend pour qui. Quand vous en bénéficiez, vous ne la percevez même pas comme une violence.

L’école doit redevenir un sanctuaire !

L’école n’a jamais été un lieu paisible — et pas davantage l’enfance — sauf dans l’image toute sucrée que s’en font certains adultes en amnésie volontaire.

Il faut le dire aux surveillants, enseignants, parents, autorités !

Ça ne marche pas, ni objectivement, ni subjectivement. Mais c’est indispensable si l’on est rendu au stade 3.

Il faut discuter avec les harceleurs et apprendre à vivre ensemble.

Ça ne marche pas non plus. Il y a des bénéfices psychologiques et relationnels à être un dominant, aucun à se trouver être la gentille victime ouverte au dialogue. Qui voudrait renoncer à un comportement qui l’avantage ?

Mais si les harceleurs apprenaient l’empathie…

Les psychopathes ont une excellente compréhension d’autrui, que les psychologues appellent empathie cognitive. Et alors ? Ils s’en servent sans aucune scrupule.

C’est intolérable dans une époque civilisée !

Les relations entre adultes ne sont pas moins sauvages. Un peu plus policées en apparence, oui, mais pas différentes : rivalité, mépris, ostracisme, médisance, insultes… toute la palette est encore là, y compris l’éventuel bourre-pif. Si vous n’êtes pas d’accord avec ce constat, allez donc passer cinq minutes sur les « réseaux sociaux ».

Votre conception de la masculinité est toxique, c’est cela qui créé la violence !

La vie des hommes est une compétition, que ça nous plaise ou non (ça ne me plaît pas). Certaines formes sont légitimées par la société (carrière, sport, célébrité), d’autres sont réprimées (meurtre, terrorisme, polygamie) mais à la fin les femmes préfèrent toujours les vainqueurs aux perdants. Dites à maman que vous n’êtes plus un gentil petit garçon et que vous refusez d’être compté au nombre des victimes. Elle boudera la perte de la relation fusionnelle avec son petit mais, au fond, se sentira fière et rassurée d’avoir engendré un fils capable d’affronter la vie bien mieux qu’elle-même.

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