La fée Macron et l’argent magique

C’est désormais connu, c’est même officiel : l’État français ploie sous une « dette financière colossale », un « fardeau », une « épée de Damoclès ». C’est le Premier ministre actuel, Michel Barnier, qui le clame dans la presse. Marc Vanguard a détaillé le désastre en des termes plus sobres mais chiffrés dans ses billets consacrés au bilan économique des années Macron : +20% de dépenses publiques supplémentaires depuis 2017, +37% de dette publique, +200 milliards d’euros de prélèvements… Comme la plupart des infortunés contribuables de ce pays, je me dis : « Ah ben, v’là aut’ chose… Comment qu’ça se fait-y donc ? L’était-y pas un as de la banque, l’couillon qu’on a élu ? L’avait-y pas promis-juré-craché moins d’impôts, moins de dette, si j’mens jvais en jupette ?” » Vous vous posez sans doute les mêmes questions… avec vos propres mots.

Alors que je m’interrogeai très calmement — tout en étranglant la page du journal qui annonçait une probable augmentation de mes contributions — il m’est revenu en mémoire un tout petit article de presse qui s’étonnait de la déclaration de patrimoine remplie en 2014 par le jeune ministre Emmanuel Macron :

Surprise : il en ressort que son patrimoine s’élève à 230.000 euros. Alors qu’au cours des deux dernières années il a gagné chez Rothschild, environ 2 millions. Où est passé l’argent. Dépensé ? […]

Comment Macron calcule-t-il pour parvenir à ce chiffre, inférieur au patrimoine moyen des ménages (362.000 euros, selon l’Insee) ? Sa déclaration révèle quelques bizarreries, qui n’ont pas ému les magistrats. Par exemple, la valeur de son appartement, dans le XVe arrondissement de Paris, acheté 890.000 euros en 2007, n’a augmenté que de 5% en sept ans, contre 33% en moyenne pour l’immobilier dans cet arrondissement, selon la chambre des notaires. « J’ai acheté cher », a-t-il expliqué quand « le Canard » lui a posé la question. Bien la peine d’être inspecteur des finances et banquier chez Rothschild pour faire de si mauvaises affaires…

Son actif déclaré est, par ailleurs, diminué d’un emprunt de 295.000 euros, destiné à financer des travaux dans une maison située au Touquet et appartenant en propre à son épouse. Une fois cet argent dépensé au profit de madame, il ne reste que la dette bancaire qui s’inscrit au passif du patrimoine. Bien joué. Et, pour faire bonne mesure, Macron retranche encore une dette de 200.000 euros qu’il doit rembourser à un particulier lui ayant consenti un « prêt personnel ». Qui lui a prêté ? Pour quel objet ? « Cela ne vous regarde pas », dit encore le ministre.

« Le fisc taille un costard à Macron », Le Canard Enchaîné, 1er juin 2016

Quelques jours plus tard, Olivier Berruyer se plongeait à son tour dans la surprenante déclaration de patrimoine du ministre, notait sa progression professionnelle fulgurante et relevait pour la période 2002-2014 un total des revenus perçus de 3,6 millions d’euros, dont 2,5 millions en 2011-2012, lorsque Emmanuel Macron était associé-gérant à la banque Rothschild & C°. Mais le plus étonnant, c’est ce qu’il en reste : pas grand chose. Avouez que si vous aviez gagné d’un coup environ un siècle de salaire médian, vous l’auriez sûrement investit dans quelque chose : immobilier, actions, objets de valeurs… Quelque chose qui relève du patrimoine plutôt que de la simple consommation. Au lieu de cela, Emmanuel Macron collectionnait les dettes : l’emprunt contracté pour son appartement, celui pour la rénovation de la maison de Brigitte au Touquet, et le prêt accordé par un mystérieux particulier dont le montant initial s’élevait à 550.000 euros (les 200.000 étant le solde au moment de la déclaration) avec un taux au dessous du marché et une aimable rallonge de ses échéances. Moi qui aime penser qu’on juge un homme à la qualité de ses amitiés, je suis tout près de croire qu’Emmanuel est un type a-do-ra-ble dans l’intimité pour avoir mérité un ami aussi généreux que son créancier anonyme. Enfin… le résultat de tout cela est que la patrimoine net de Macron est virtuellement nul. C’est un garçon prometteur mais dans le besoin, voyez-vous ?

Toute cette stratégie comptable n’est en soi ni illégale, ni condamnable. Ce qui est curieux, c’est qu’elle ne semble pas avoir enrichi son auteur.

Macron, c’est plus de 3,3 millions de revenus en 6 ans, aucun achat immobilier dans l’intervalle, et à la fin, 266.000 € de liquidités…

Je vous passe différentes hypothèses, mais, par rapport au niveau de revenus de 2009, ceci doit correspondre à environ 1.200.000 € d’excédents de revenus nets d’impôts sur la période.

À consommation inchangée, et compte tenu de la hausse des liquidités (qui ne partaient pas de zéro) et du remboursement des emprunts, ce sont donc environ 1.000.000 € nets en 4 ans qui manquent à l’appel.

Bien entendu, cela a pu être consommé. Mais enfin, cela fait quand même la bagatelle d’une consommation (en plus des crédits, et en plus du niveau de vie précédent Rothschild) d’environ 700 € nets en plus claqués chaque jour pendant 4 ans…

Il joue ou quoi ? S’il a tout donné aux bonnes œuvres, je veux bien revoir un peu mon jugement sur lui… […]

De sales rumeurs mal intentionnées semblent courir sur des histoires de comptes à l’étranger — ce qui est de façon quasi certaine faux, car les revenus ont bien été déclarés au fisc, comme on le voit…

Olivier Berruyer, « Le Paradoxe Macron : 3,6 millions d’euros de revenus et un patrimoine négatif ? », les-crises.fr, 8 juin 2016

Si l’affaire vous intéresse, je ne saurais trop vous recommander de lire, sur les-crises.fr, les nombreux billets qu’y a consacré Olivier (c’est même devenu une rubrique du site : Le patrimoine de Macron). Vous y découvrirez moult détails croustillants même pas effleurés ici et un aperçu des efforts de la presse pour ne pas irriter de trop de questions le Jupiter impécunieux. Ce qui m’intéresse ici, c’est le rapport que je vois s’esquisser entre la vie personnelle d’Emmanuel et notre situation présente.

De deux choses l’une :

  • Soit la déclaration de patrimoine de Macron est inexacte, ce qui serait embarrassant pour un inspecteur des finances. (Enfin… notons qu’il avait déjà eu un redressement fiscal… vous lirez chez Olivier.)
  • Soit, dans l’intervalle de deux ans et demi entre le moment où il a touché le pactole et sa nomination ministérielle, il a trouvé le moyen de dépenser environ un SMIC net par jour.

À chaque fois que j’ai raconté cette histoire autour de moi, mon auditoire penchait sans hésitation pour la première explication, bien qu’aucun élément factuel ne puisse la justifier : « Nan, il en a planqué quelque part. C’est sûr. Il est malin, forcément… »

L’idée d’être gouverné par un filou futé semble plaire davantage qu’envisager d’être soumis à un imbécile prodigue. Les décideurs doivent être compétents, tant pis si c’est dans la malhonnêteté ; il nous serait insupportable qu’ils soient simplement ineptes.

Pourtant, depuis l’élection présidentielle de 2017, un grand nombre d’indices en faveur de la seconde hypothèse se sont ajoutés au dossier Macron : de nombreuses décisions politiques aussi coûteuses et improductive pour la France que ses dépenses de particulier pour son propre patrimoine. Je n’en ferai pas la liste et le bilan ici ; il y a eu des centaines d’articles écrit sur le sujet depuis sept ans (sans compter sa période « Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique »). Revenons juste sur deux points :

  • L’administration Macron déverse généreusement du pognon sur les consultants privés comme un jardinier bipolaire viderait des brouettes de crottin sur ses géraniums.

À partir des informations recueillies, la commission d’enquête a donc utilisé l’indicateur des « jours-hommes » pour évaluer les prix pratiqués par les cabinets de conseil. Cet indicateur permet ainsi de connaître le tarif journalier d’un consultant mobilisé pour une mission.

D’après les éléments transmis par les ministères, le coût moyen d’une journée de consultant s’élève ainsi à 1.528 euros TTC pour la période 2018-2020, hors informatique et hors accords-cadres de l’UGAP. […]

Dans l’exemple de la crise sanitaire, le tarif moyen de cinq cabinets de conseil mobilisés s’établit à 2.168,38 euros par jour de consultant. […]

Au-delà de la crise sanitaire, il n’apparaît pas inutile de mettre en comparaison le coût en jour-homme d’un consultant en secteur public et celui d’un agent public de catégorie A+.

En l’espèce, d’après les projets annuels de performance (PAP) de plusieurs missions budgétaires, le coût moyen chargé hors les contributions au compte d’affectation spéciale (CAS) « Pensions » et les « coûts fixes » d’un fonctionnaire de catégorie A+ s’élèverait, sous toutes réserves, à 362 euros par jour ouvrable.

« Rapport du Sénat au nom de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques », n°578, mars 2022, pp. 152-154

On peut avoir une excellente raison de faire appel à un consultant externe : quand on n’a pas la compétence en interne. Toutefois, s’agissant de l’État français qui emploie 2.545.900 agents dans la fonction publique d’État et 1.215.700 dans la fonction publique hospitalière (INSEE 2022), dont plusieurs milliers de scientifiques, ingénieurs, diplomates, énarques, polytechniciens, inspecteurs des finances et autres crânes bien remplis, on comprend mal ce besoin de recourir fréquemment à un prestataire supposé mieux savoir. À la limite, si à chaque prestation des cabinets Eurogroup, Kior Talent, Capgemini, Ipsos, Ernst & Young, PWC, Accenture, Bearing Point, Roland Berger, BCG, OnePoint, Clifford Chance Euro, CGI, Deloitte, Wavestone, Inops, Lasce associates, McKinsey, Thales, Kantar… (liste non exhaustive, source : commission d’enquête, d’après les documents transmis par les secrétariats généraux des ministères) Emmanuel avait viré un nombre d’énarques à peu près compensatoire des coûts de consultation externe, j’aurais trouvé une certaine cohérence à cette politique d’équilibre budgétaire inédite. Mais non. La mode est à la réduction du secteur hospitalier — une idée vraiment bizarre dans une période de vieillissement de la population française et de trouille épidémique.

Durant la « crise sanitaire », d’après les chiffres de la commission d’enquête, l’administration Macron a dépensé 2.168 / 362 = 6 fois plus qu’en consultant ses propres scientifiques, toubibs et haut-fonctionnaires. Si ça, ce n’est pas jeter de l’argent par les fenêtres, qu’est-ce que c’est ?

  • En 2020, Emmanuel et ses consultants ont décidé de mettre en panne l’économie et la vie quotidienne des Français pendant plusieurs mois et, pour atténuer le désastre, de faire pleuvoir de « l’argent magique » sur les entreprises de toute taille, tels des sorcières ivres jetant une pluie de sorts absurdes sur le pauvre monde, un soir d’enterrement de vie de jeune fée.

Je ne discuterai pas ici du bien-fondé sanitaire de l’opération. J’observe simplement que l’argent toujours manquant pour l’hôpital — l’une des administrations dont on est le plus certain qu’elle est fondamentalement utile — est soudainement tombé d’en haut, comme la manne céleste, pour nourrir sous perfusion toutes les boites livrées au désert. Pour certaines ce fut insuffisant ; pour d’autres ce fut plus que réellement nécessaire ; pour toutes ce fut absurde. J’en fus moi-même bénéficiaire, et bien surpris de la recevoir ! En tant qu’indépendant, je m’étais toujours senti seul responsable de ma barque, et en devoir de naviguer entre les écueils de la vie économique à mes risques et périls. Tout d’un coup, je me trouvai quasiment fonctionnarisé, au crochet de l’État mais sans lui être subordonné, un peu comme… un consultant. Je ne nierai pas que l’opération me fut objectivement très avantageuse (d’autant que les aides se prolongèrent jusque sur le bilan 2021), mais en tant que contribuable et citoyen je fis des bonds rageurs jusqu’au plafond.

Croire à la première impression

Ah, si les électeurs avaient écouté le Canard et Olivier ! Ils auraient flairé en Emmanuel Macron un flambeur, un panier percé, un mange-tout, un claque-fric. Tel dans la vie, tel au pouvoir. Cela aurait-il changé leur choix ? Je ne crois pas. L’électorat macronien était très boomer, et encore plus lors de sa réélection. C’est une génération qui lui ressemble : gâtée par le destin, enrichie au-delà du probable, jouisseuse et narcissique. Ils se sont bien trouvés, elle et lui — on dirait même qu’il l’a épousée. Nul doute que ses électeurs, si on les force à mettre le nez dans cette fameuse déclaration de patrimoine, préféreront toujours croire qu’il en a astucieusement planqué en lieu sûr plutôt que de reconnaître lucidement son tempérament frivole et dépensier.

En l’absence de Dieu pour présider aux mystères de l’univers, nos contemporains veulent croire au moins que quelques hommes capables maîtrisent la trajectoire du destin national, fussent-ils menteurs et malveillants, plutôt que d’admettre vivre dans un pays à la dérive, dirigé n’importe comment par des imbéciles à leur image.

Si, si, je suis de bonne humeur. Tout cela est follement drôle. Au prix que ça coûte, il faut au moins en rire.

Write a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *