Les Effrontées du mois de mars 2022 : les Nymphes des fontaines

— Salut Hylas !

— S… Salut… On se connaît ?

— Bien sûr qu’on se connaît ! On t’a liké sur Tinder-mytho. Tu nous a toutes likés aussi.

— Pardon, je ne suis pas sur Tinder-mytho. C’est réservé aux immortels.

— Mais si ! Héraclès t’a parrainé. Le soir du départ, lors du banquet des Argonautes, il t’a créé un profil et tu as swipé à gauche et à droite. Étais-tu saoul ?

— Non. Enfin, juste un peu gai. Je ne bois pas d’habitude. Qui êtes vous ?

— Je suis Ephydatie.

— Je suis Dryope !

— Moi, Malis.

— Euneika.

— Et moi Nychea.

— Hylas, as-tu déjà été amoureux ?

— Et bien, je suis l’éromène d’Héraclès. Je ne sais si cela peut s’appeler de l’amour, mais assurément c’est une relation forte. Profonde, même. Douloureuse parfois.

— Que préfèrerais-tu ? Toujours connaître l’étreinte virile du palefrenier d’Augias…

— Ou désormais goûter aux douceurs infinies des nymphes nymphomanes ?

— Mais, Mesdemoiselles, nous ne nous connaissons pas…

— Il refuse ?

— Non… Enfin si, peut-être… Mais vous êtes nombreuses…

— Nous lui déplaisons ?

— Point du tout ! Vous êtes plus charmante l’une que l’autre, je le jure !

— Il le jure ! Je suis la plus charmante !

— Non, c’est moi.

— C’est moi, bien sûr.

— Tu es autre, c’est donc moi l’une la plus charmante que l’autre.

— Mesdemoiselles, je vous en prie ! Je ne suis venu ici que pour quérir de l’eau pour mes compagnons.

— Il est venu pour l’eau.

— Il n’est pas venu pour nous ?

— Mais nous sommes l’eau !

— C’est bien nous qu’il vient prendre.

— Oh oui ! Prends-nous, Hylas !

— Je ne le puis… Si même je pouvais abandonner mes compagnons sur le champ, sans déshonneur, et me marier, comment pourrais-je vous prendre toutes pour femme ? Que dit la coutume ? Que diraient nos familles ?

— Il veut épouser des nymphes ! Comme c’est chou !

— C’est sa façon de dire qu’il veut bien nous prendre sauvagement dans les nénuphars.

— Il ne veut que moi. Je l’ai entendu.

— Une épouse est comme le lait dans la jatte, Hylas. Nous sommes l’eau fraîche des fontaines, toujours courantes, dansantes et riantes. Tu n’as point le devoir de nous épouser et nul ne s’offusquera de nos jeux.

— Je ne sais que dire, Ô ravissantes nymphettes. Quel homme résisterait à vos éclats de rire ? À votre peau claire comme le matin et à vos yeux profonds comme la nuit ? À la volupté quintuplée et sans contrepartie que vous m’offrez ? Tout mon corps désire les vôtres, et pourtant mon cœur répugne à ces emballements de la chair s’ils ne sont baignés du soleil de l’amour.

— Répugne ? Il a dit répugne ?

— Il veut se baigner au soleil. Saules, écartez vos branches larmoyantes ! De la lumière !

— Je vous en prie adorables naïades ! Épargnez-moi la tristesse d’une luxure sans attachement.

— Ah ! Qu’il est dur à séduire, celui-ci !

— Oh oui, qu’il est dur !

— J’en suis toute humide, mes sœurs.

— Que pourrais-tu être d’autre, tête d’eau ? Je le suis toute autant.

— Mais enfin, divines apparitions, n’y a-t-il pas d’autres hommes de brave cœur et de bonne famille qui mériteraient vos soins lubriques ? Pourquoi toutes me vouloir ?

— Crois-tu, Hylas, que nous voudrions nous contenter d’hommes communs ?

— Seul le meilleur nous mérite.

— Le plus beau.

— Le plus désirable.

— Donc le plus désiré.

— Dès que Dryope t’a liké, je t’ai liké aussi.

— Moi aussi.

— Et moi aussi.

— Et moi !

— Puisque l’une t’a choisi, tu dois être le meilleur. Et comme nous t’avons toutes choisies, tu es le meilleur.

— Moi, je ne pouvais choisir un autre homme : et s’il n’avait pas été le meilleur ? Et si j’avais laissé le meilleur à mes sœurs ? Je ne voulais que le meilleur. Nous le voulons toutes.

— Qu’importe la fidélité aux nymphes, toujours courantes, dansantes et riantes ? Comme la semence du meilleur homme est liquide, nous la partagerons.

— Ô Hylas, laquelle veux-tu connaître en premier ?

— Laquelle te plaît le plus ?

— Hylas ! Donne-moi la main !

— Laisse donc cette cruche !

— Moi, cruche ?

— La cruche pour apporter de l’eau à ses compagnons.

— Ah, cette cruche là…

— Hylas, touche la douceur de ma peau !

— Mes cheveux sont plus beaux que les siens. Penche-toi pour sentir leur parfum !

— Hylas, embrasse-moi…

— Les filles, ne me tirez pas tant…

— Ta tunique, Hylas.

— Je vais choir !

— J’aime ton buste, Hylas.

Plouf !

— Viens Hylas ! Viens…

— Viens tout au fond de notre lit…

Hylas et les nymphes, par John William Waterhouse, 1896
Hylas et les nymphes, par John William Waterhouse, 1896

Note : En 2018, le tableau a été retiré de la vue du public par une conservatrice du musée de Manchester au motif que :

Cette galerie présente le corps des femmes soit en tant que « forme passive décorative » soit en tant que « femme fatale ». Remettons en cause ce fantasme victorien !

Cette galerie existe dans un monde traversé par des questions de genre, de race, de sexualité et de classe qui nous affectent tous. Comment les œuvres d’art peuvent-elles nous parler d’une façon plus contemporaine et pertinente ? »

Le décrochage de l’œuvre fut filmé et considéré comme une « performance » d’art contemporain. Le vœu de la conservatrice fut ainsi exaucé au-delà de ses espérances : soustraire une œuvre à la contemplation du public, à rebours du rôle fondamental d’un musée, et la remplacer par du vent nous parle de notre époque d’une façon très « contemporaine et pertinente » !

Le tollé engendré dans le public et jusque dans la presse « progressiste » fut tel que le musée dut remettre le tableau à sa place quelques jours plus tard.

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