La question de l’écart entre les rémunérations des hommes et des femmes a été abondamment traitée par les économistes et les statisticiens, et la plus grande part de cet écart s’explique par des différences de temps et de nature de travail. Lorsqu’on présente de telles études aux gens qui se scandalisent de cet écart, ils (et surtout elles) se concentrent alors sur la part inexpliquée. Leur idée est que s’il y a des différences que l’on ne sait pas expliquer, alors ces différences sont nécessairement le fruit d’une discrimination. C’est commode parce que dans le cadre d’une étude économique donnée, même très complète, il y a peu de chance que l’on arrive à cerner toutes les variables du phénomène étudié. Il y aura donc toujours un reste d’écart salarial « prouvant » l’existence d’une discrimination.
On peut cependant aborder le problème sous un autre angle, en comparant les écarts de rémunération entre les salariés et les non-salariés. Si l’écart salarial résiduel entre les hommes et les femmes est causé par les employeurs, alors l’écart de rémunération chez les non-salariés (donc sans employeurs) devrait être inférieur à celui des salariés. Et bien, ce n’est pas le cas. C’est même tout le contraire :
Pour l’ensemble des professions libérales (hors professions de santé), les hommes ont un revenu supérieur de 44% à celui des femmes. Cet écart s’explique probablement pour partie par des durées du travail plus faibles pour ces dernières. Dans le domaine du droit, le plus féminisé, cet écart est aussi le plus marqué (117 %). En effet, en début de carrière, soit au cours des cinq premières années, l’écart entre hommes et femmes est déjà de 77 %. Il s’accroît tout au long de la carrière pour culminer à 113 % en fin de carrière (ancienneté comprise entre 20 et 35 ans). Dans les deux autres domaines, l’écart moyen entre hommes et femmes est de 47 % pour le conseil et de 82 % pour la finance et il s’accroît avec l’ancienneté comme dans le droit. Au total, pour l’ensemble des professions libérales, l’expérience permet à un homme de multiplier son revenu par 2,3 en 25 ans alors que dans le même temps, une femme ne le multipliera que par 1,7.
Magali Flachère, « Les professions libérales en 2007 », INSEE, 2010
Et dans les professions médicales :
Les femmes représentent 53 % des omnipraticiens installés depuis cinq ans ou moins, contre seulement 29 % toutes anciennetés confondues. Or, avec un volume d’activité inférieur de 25 % à celui de leurs homologues masculins, les femmes omnipraticiens perçoivent en moyenne des revenus libéraux moindres. L’écart de revenus entre les jeunes généralistes et l’ensemble des omnipraticiens n’est plus que de 5,1 % si l’on restreint la comparaison aux hommes et de 9,1 % si l’on ne s’intéresse qu’aux femmes.
Anne Pla, Fanny Mikol, « Les revenus d’activité des médecins libéraux récemment installés : évolutions récentes et contrastes avec leurs aînés », INSEE, 2015
En détaillant les écarts par catégories de profession libérale, on note aussi que les plus forts écarts de revenu d’activité se trouvent dans les catégories les plus féminisées : le droit et la santé.
Il me semble difficile d’incriminer pour ces écarts considérables les employeurs des non-salariés… puisqu’ils n’existent pas. Une discrimination par les clients peut-être ? Je ne vois pas sur quoi l’on pourrait en fonder le soupçon, d’autant que les clients sont le plus souvent des clientes — en tout cas pour les services consommés par les ménages. Comparons maintenant aux salariés :
L’étagement des écarts, plus faible dans le public, modéré dans le privé et fort en libéral, suggère que le niveau de protection du travailleur est une variable explicative très importante.
• Dans le public, la performance individuelle compte peu dans la rémunération (on peut faire des heures sup’, passer davantage de concours pour changer de poste, guère plus).
• Dans le privé, en tant que salarié, on bénéficie de l’encadrement des conditions d’emploi par le Code du travail. Une partie de la rémunération peut-être basée sur le résultat, en plus du salaire fixe. Une pression croissante est exercée sur les entreprises pour qu’elles réduisent l’écart salarial hommes-femmes à tout prix.
• Enfin, dans les professions libérales, le travailleur ne peut compter que sur lui-même : de sa production et de sa capacité à justifier ses tarifs aux yeux de sa clientèle dépend presque entièrement son revenu d’activité (il y a des enjeux de saine gestion aussi, mais rigoureusement identiques pour les deux sexes).
Ce constat posé, je suggère d’introduire dans les conversations de table et de réseaux sur ce sujet cette question taquine : « Pourquoi l’écart salarial entre les hommes et les femmes est-il aussi faible ? »