Retour sur l’affaire Pelicot : la faute à…

Il y a quelques mois s’est tenu le procès très médiatisé de Dominique Pelicot, condamné pour avoir organisé le viol récurrent de sa femme, sous sédatifs, par des dizaines d’hommes recrutés sur une plateforme notoirement louche. Le retentissement de cette affaire, unique par son mode opératoire et le lien conjugal unissant la victime au criminel, a engendré beaucoup de réactions émotionnelles en France et à l’étranger.

C’est un procès hors normes qui s’est ouvert cette semaine à la cour criminelle du Vaucluse. Hors normes tant par le nombre d’accusés présents — 51 au total — que par la gravité des faits qui leur sont reprochés.[…]

Peut-être faut-il encore le répéter : les violeurs ne sont pas des monstres. Les violeurs sont des hommes ordinaires. Ce sont nos frères, nos pères, nos amis, nos cousins, nos grand-pères. Ils ont tous les âges, exercent tous les métiers et n’ont aucune apparence particulière. Ils sont monsieur Tout-le-monde.

Julia Tissier, « Affaire Pelicot : les violeurs sont des hommes ordinaires », Les Inrockuptibles, 2024

Si l’on fait abstraction du ton lyrique choisi par la journaliste et que l’on prend deux secondes pour y réfléchir, il paraît étrange qu’une affaire « hors normes » puisse être le produit de la normalité des comportements masculins. Il paraît également évident qu’un criminel a une famille (il n’est pas venu sur Terre comme une météorite), vieillit comme tout le monde et passe donc par « tous les âges », exerce un métier selon ses aptitudes et son milieu social, et n’a pas une corne clignotante sur le front pour le signaler en tant que criminel. Pourtant, les journalistes ont souvent insisté sur la représentativité supposée des accusés de « L’affaire des viols de Mazan » vis-à-vis de l’ensemble de la population masculine.

Plus embarrassant encore que des extrapolations hâtives à partir d’un fait divers exceptionnel, un certain nombre d’hommes ont adopté une attitude d’auto-flagellation surprenante, dans la mesure où ils n’étaient nullement impliqués dans l’affaire Pelicot ni dans aucune autre affaire sordide.

« Cela m’a effectivement posé la question du consentement », concède David Courbet [journaliste à l’AFP]. « Ce procès nous oblige en tant qu’hommes à nous poser des questions sur nos comportements passés, présents et surtout futurs ».

« “Un procès pour l’histoire” : l’affaire Pelicot vue par les journalistes de l’AFP », Agence France Presse, 2024

Pourquoi David s’interroge-t-il sur ses « comportements passés, présents et surtout futurs » ? A-t-il quelque chose à se reprocher ? Des pulsions inavouables ? Faut-il lui recommander d’aller les confesser chez un psychiatre ou directement à la police ? Mystère.

C’est [le journaliste] Karim Rissouli dans [l’émission] Ccesoir qui renomme ce que l’on a appelé jusque-là le procès de la soumission chimique, « le procès de la masculinité toxique ». Il écrit un bout d’histoire quand il évoque une prise de conscience sur « cette façon d’être un homme aujourd’hui qui permet à 500 mecs de répondre à une petite annonce qui invite à venir “violer une femme endormie” sans que personne ne prévienne la police ». Car oui, ils le font parce que, tout au fond d’eux, ils se disent que c’est possible.

Anne Bianchi, « Tribune : L’affaire Pelicot, une révolution dans les relations femmes-hommes », Marie Claire, 2024

Oui, Karim, il y a des méchants. Et des sites louches fréquentés par des gens louches (les annonces de Dominique Pelicot n’ont pas été mises sur Leboncoin). Je ne sais pas comment on peut avoir presque vingt ans de carrière dans le journalisme et le découvrir si tardivement, mais je m’en voudrais de railler une si touchante candeur.

Et Karim Rissouli d’ajouter, « j’ai honte, j’ai mal au bide en tant qu’homme », écho puissant à la douleur des femmes au sexe ravagé, mutilé, défoncé, pris d’assaut, à disposition, dans les guerres, les croisades, les invasions, mais aussi à domicile, dans le secret des foyers, des chambres à coucher conjugales, des arrière-cuisines, des vestiaires d’usine, et autres huis clos.

Ibid.

Bon, on a perdu la journaliste de Marie Claire, là… Mais revenons à Karim : de quoi as-tu honte exactement ? Tu ne t’es pas réveillé à 42 ans en découvrant l’existence de la criminalité, tout de même ? As-tu honte de la surreprésentation des ressortissants du continent africain dans la criminalité en Europe ? J’espère que non, car en tant que citoyen exemplaire (à ma connaissance) tu n’as aucune responsabilité dans les méfaits d’autres individus, quand bien même tu partagerais une filiation ethnique et culturelle avec eux. Alors pourquoi afficher un sentiment de co-culpabilité avec des criminels dont (pour la plupart) le seul point commun avec toi est le sexe ?

Des hommes ordinaires? Vraiment ?

« “Bons pères de famille”, célibataires… Les violeurs de Mazan, ces hommes presque tous ordinaires », titrait le magazine Marianne au début du procès. La lecture des compte-rendus détaillés montre pourtant l’inverse : la plupart des condamnés sont loin de ressembler à Monsieur Tout-le-monde.

Pour commencer, j’ai compté 28% d’individus issus de l’immigration africaine (principalement le Maghreb) et turque. Je sais ce que vous allez dire : « Oh ! Mais c’est raciiiiiiste ! » et « C’est parce que Dominique Pelicot les choisissait exprès ! » La surreprésentation des étrangers africains dans les violences sexuelles est un fait statistique aussi bien en France que dans les autres pays européens.

Que nous disent les tous derniers chiffres pour 2024 ? Pour les violences sexuelles dans leur ensemble, le taux de mis en cause pour les étrangers africains est 2,2 fois supérieur à celui des ressortissants français.

On va tout de suite voir que la France n’a rien d’une exception. En effet, j’ai analysé pour vous les chiffres issus des données policières et judiciaires de sept pays européens. Ils représentant au total une population de 300 millions d’habitants. Difficile de faire plus robuste.

Allemagne : taux de mis en cause des étrangers africains pour viol 8 fois plus élevé que celui des Allemands. […]

Italie : taux de mis en cause des étrangers africains pour violences sexuelles : 14 fois plus élevé que celui des Italiens. […]

Espagne : taux de mis en cause des étrangers pour viols 14 fois plus élevé que celui des Espagnols. […]

Pays-Bas : taux de mis en cause pour violences sexuelles des personnes issues de l’immigration non-occidentale 4 fois plus élevé que celui des Néerlandais autochtones. […]

Danemark : taux de condamnation pour viol des personnes d’origine africaine 10 fois supérieur à celui des Danois autochtones. […]

Suisse : taux de mis en cause pour viol des étrangers 3 fois supérieur à celui des ressortissants suisses.

Marc Vanguard, « Immigration et violences sexuelles », 2025

Idem pour les violences perpétrées dans le cadre conjugal :

Dans l’ensemble, 37.000 étrangers ont été mis en cause pour violences conjugales en 2023. C’est 17% du total, alors qu’ils comptent pour 8% de la population.

Marc Vanguard, « Les violences conjugales en France », 2024

Alors, certes, les préférences perverses de Dominique Pelicot contribuent à leur surreprésentation extrême dans l’affaire, mais cela n’efface nullement la plus grande probabilité de trouver des hommes disposés à exercer des violences sexuelles parmi ceux issus de l’immigration africaine que parmi les Français de souche ou l’immigration intra-européenne. Les différences anthropologiques existent, et c’est ridicule de voir du patriarcat partout sauf là où il existe réellement : dans les systèmes familiaux communautaires du Moyen-Orient et du Maghreb.

Ensuite, l’épluchage des comptes-rendus indique que 34% des condamnés avaient des antécédents judiciaires avant l’affaire Pelicot. Pour certains, des condamnations graves (agression sexuelle, viol, trafic de stupéfiant, violences conjugales) pour d’autres des condamnations plus banales mais avec récidives (conduite en état d’ivresse, sans permis, vol, usage et recel de stupéfiants, etc.). Dominique Pelicot, en plus de s’être fait pincer à filmer sous des jupes en 2010, a déjà été condamné dans une affaire de tentative de viol en 1999 et se trouve désormais le principal suspect dans une affaire de viol et de meurtre restée non-élucidée depuis 1991. Pas vraiment Monsieur Tout-le-monde, n’est-ce pas ?

Enfin, 58% des condamnés ont eu une enfance anormale (maltraitance, abandon, père inconnu, violences sexuelles subies, fugues, délinquance juvénile, consommation précoce de stupéfiants, etc.) Bien sûr, dans le cadre d’un procès, les accusés et leurs avocats s’efforcent d’apitoyer le tribunal. Exagèrent-ils ? Les circonstances traumatiques invoquées étaient souvent vérifiables par la justice : placements en foyer ou en famille d’accueil, absence de père connu, décès de la mère par cirrhose, etc.

Et maintenant, en exclusivité mondiale, voici le bagage des condamnés présenté en un seul graphique :

Camembert des profils des 51 condamnés dans l'affaire Pelicot, dite  « des viols de Mazan » : enfance, origine, antécédents judiciaires.

La tranche bleu-marine, en haut à gauche, représente les condamnés ne présentant ni une enfance anormale, ni des antécédents judiciaires, ni un contexte anthropologique plus favorable aux violences sexuelles que celui des Français de souche : 22%. La grande majorité des condamnés dans l’affaire Pelicot sont manifestement à la marge de la population masculine française. Souhaitons que David, Karim, et tous les gentils garçons prompts à s’auto-accuser d’une responsabilité imaginaire trouvent dans ce constat la force de se comporter en homme : en faisant passer la raison avant l’émotion.

Dans un prochain billet, je commenterai quelques réactions publiées dans la presse internationale. Puis, dans un dernier billet, nous parlerons d’une affaire présentant quelques similitudes surprenantes avec l’affaire Pelicot… mais dont le malfaiteur était une femme.

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