Si vous lisez ceci, vous êtes sans doute familiers des termes alpha et bêta, ainsi que de ceux de pilule rouge et bleue. Je n’y reviendrai pas ici, sinon dans les grandes lignes. Deux dialectiques circulent dans la « manosphère ». Tout d’abord l’articulation alpha/bêta, et celle de pilule rouge/pilule bleue. On les confond souvent, pour autant, si la seconde recouvre la première, elle ne s’y réduit pas.
Or, dans la langue française, le mot « bêta » souffre d’un préjugé négatif.
Nous le qualifions de « gros bêta », ce gentil garçon qui rêve de rencontrer l’âme sœur sur Tinder et qui, le week-end donne un coup de main pour déménager la voisine. N’est-il pas « comme un frère » pour elle, un ami à qui on peut tout dire à commencer par le fait qu’on ne couchera pas avec lui. Nous en connaissons tous un, peut-être même, nous en sommes un, nous en étions un. Et, dès lors que nous commençons à ouvrir les yeux sur les relations intersexuelles, il nous devient de plus en plus difficile de redevenir ce « brave gars », à défaut d’être le serial fucker que nous rêvons d’être.
J’avais récemment rendez-vous avec un copain pour effectuer quelques travaux de bricolage chez moi. Ce pote, que je tiens pour un « alpha naturel », mais encore très pilule bleue, n’a même pas pensé à me prévenir qu’il ne viendrait pas, car il avait un plan cul en vue. Je me suis débrouillé tout seul, j’y suis arrivé et je me suis demandé : « Quelle serait une société où nous serions tous des alphas ? »
Réponse : Une tribu de singes au milieu de la jungle.
Sans les bêtas, pas de constructions, de projets, de grandes œuvres… le bêta n’est pas seulement celui qui douille, selon la traduction de Tancrède Bastié de l’expression alpha fucks/beta bucks, « l’alpha couille et le bêta douille », au propre comme au figuré.
Il est, le bêta, un Gustave Eiffel, un bâtisseur, celui qui sublime sa frustration et la détourne dans le splendide. Que reste-t-il de l’alpha indolent et insouciant ? S’il n’ancre pas son passage sur terre dans le durable, avoir bourré une farandole de culs longue comme le dard de Rocco n’est pas un chef-d’œuvre, s’il s’agit d’une inclination naturelle.
La pilule rouge nous apprend que la société se construit sur un double mouvement : celui de l’instinct, qui sans cesse pousse les femmes à l’hubris, à chercher toujours à optimiser leurs rencontres. L’alpha quand elles le peuvent, et le bêta — dans le meilleur des cas — quand elles ne le peuvent plus. Sur cette tendance instinctuelle, les sociétés traditionnelles ont mis en place des structures de contrôle, afin que le bêta puisse lui aussi — n’est-il pas parcouru par son flot de testostérone comme tout homme ? — baiser !
Or si nous voyons bien, et les États-Unis nous fournissent un avant-goût de ce qu’il peut advenir, ce qu’est une société où 80% des femmes se battent pour 20% des hommes, nous omettons de nous poser la question de ce qu’elle serait si nous étions nous-mêmes membre de ce quintile de bourreurs de cul à la file. Que se passerait-il si nous étions tous des niqueurs de dingue ?
Un débat nous anime, Raffaello Bellino des Trois Étendards et moi sur le sens à donner à la pilule rouge. En un mot, il est le tenant de voir cela comme une praxéologie, autrement dit un discours sur la pratique. De là, nous voyons la pilule rouge comme un moyen de devenir alpha et de niquer à bite rabattue. D’avoir enfin la femme de ses rêves à ses pieds, l’élue de son cœur. Dans cette optique fleurissent les coachs en séduction, artistes de la drague et autres escrocs de la e-économie. C’est un résumé, mais c’est trop réducteur pour être vrai. Les gens ne veulent pas comprendre, ils veulent que ça marche !
J’oppose que la pilule rouge est avant tout une herméneutique, une théorie de l’interprétation. Un ensemble de points de vue qui permet de saisir ce que nous vivons avec un autre vocabulaire que celui des femmes — et avec moins d’hypothèses, ce qui selon le rasoir d’Ockham la qualifie. Il ne s’agit plus, dès lors, de connaître les mille et une techniques pour pécho ! Mais de comprendre que les femmes se comportent comme cela aussi sûrement qu’un tigre est carnivore et qu’il n’y a pas à les blâmer, mais à le savoir, à en tirer les conséquences, à grandir et à devenir un homme. Car, entre l’alpha, pilule bleue, qui se fait plaquer et qui repart à l’assaut de la colline 32 comme en 14, et le bêta, pilule rouge, qui mène sa vie, qui gère son cadre et construit son monde qui voudriez-vous être ?
L’alpha ! Sûrement, sauf que ça n’est pas aussi simple. Plutôt, arrêtez de vous focaliser sur les femmes, sur ce qu’elles sont — comme ça et pas autrement — sur ce qu’elles font — grâce à la pilule rouge vous savez pourquoi et pourquoi vous ne pouvez rien y faire — et débranchez-vous de la matrice gynocentrée, construisez vos vies, bâtissez vos tours Eiffel, fixez votre cadre et si une demoiselle se présente, baisez-la plutôt trois fois qu’une, mais restez maître du jeu.
Un bêta averti en vaut deux, il baise d’autant plus !
Commentaire : Si des coachs en virilité lisent ton billet, Louis, ils ne vont rien y comprendre. Car ils définissent tous l’alpha selon leurs goûts de garçons, en se persuadant que ça fera fondre les « filles bien » le jour où ils auront atteint le sommet de l’excellence. Si la pilule rouge est assurément une tentative masculine de théoriser correctement les relations intersexuelles, en revanche alpha et bêta sont à peine des concepts. Ce sont plutôt des « sensations » féminines : l’une chatouille exquisément et fait battre le cœur, l’autre est réconfortante et un peu ennuyeuse. Les hommes ne peuvent que cerner les variables qui déclenchent l’une ou l’autre, sans jamais pouvoir les comprendre en les éprouvant eux-mêmes. À part ça, si j’avais deux filles, je les appelerais volontiers Praxéologie et Herméneutique. — TB