L’été dernier, on pouvait lire sur les Effrontés un billet inspiré du livre de Marcel Pagnol, La Gloire de mon père, où l’on constatait la nécessité de rôles féminins et masculins distincts dans un monde encore très peu mécanisé. Ce livre eut une suite aussi délicieusement vacancière et provençale : Le Château de ma mère. Pour le lecteur du début du XXIe siècle, la réalité toute simple des comportements humains y jaillit vivement, comme une source claire venant doucher fraîchement son conditionnement idéologique. Ce passage, par exemple :
Après le flan de crème renversée, les œufs à la neige, et les biscuits, Bouzigue, l’air inspiré, commença le récit des exploits de sa sœur.
Il compara d’abord la vie à un torrent, qu’il faut franchir en sautant d’un rocher à l’autre, après avoir « bien calculé son élan ».
Félicienne, disait-il, avait d’abord épousé un joueur de boules « professionnel », qui la quittait souvent pour aller triompher dans les concours, et c’est à cette occasion que j’appris le mot « cocu ». De là, elle avait sauté sur le rocher suivant, qui avait la forme d’un chef de dépôt des tramways, puis sur un papetier de la rue de Rome, puis sur un fleuriste de la Canebière, qui était conseiller municipal, puis enfin sur le conseiller général. Elle méditait en ce moment même un dernier bond, qui la porterait sur l’autre rive, dans les bras de M. le préfet.
Le mot « cocu » a perdu de sa force dans les années 1970. Non que les trompés aient disparus, mais l’idée du mariage comme engagement sérieux s’est rapidement effilochée à cette époque. Si le mariage n’est pas une chose sérieuse, comment le cocufiage pourrait-il l’être ? À l’époque où j’écris ceci, on parle de « relation libre » ou de « polyamour » pour désigner la situation où un homme consent à pourvoir une femme de son attention et de ses services alors qu’elle réserve la meilleure partie de sa sexualité à un ou plusieurs autres hommes. Les garçons moins candides sur la nature féminine appellent ces martyrs volontaires des « cucks », c’est-à-dire des cocus, car en anglais tout paraît nouveau.
Aux hommes qui veulent croire que le monde d’avant la Révolution sexuelle était moins périlleux pour les braves gars désirant être simplement de bons maris, trimant le jour pour leur famille et recevant le soir la tendresse quasi-maternelle de leur épouse, je veux dire ceci : vous vous cocufiez… pardon : vous vous trompez ! Certes, le marché sexuel était moins âpre, les exigences des femmes moins démesurées, et leurs hésitations moins interminables. Mais les femmes étaient animées par le même instinct sexuel double : un désir viscéral du mâle dominant dans son sens le plus animal, mitigé seulement par le besoin d’être sécurisées et approvisionnées. Cette inclination secondaire et pragmatique est le plus souvent satisfaite par un homme modérément excitant mais économiquement fiable… ou plusieurs. La différence entre une femme restant sagement au côté de son compagnon et une femme bondissant d’un homme « bien » à un homme « encore mieux » dépend de la valeur sur le marché sexuel à laquelle chacune s’estime. Augustine, la maman de Marcel, ordinairement désirable et de santé fragile, avait sans doute trouvé dans son mari le meilleur homme possible — pour elle. Félicienne, la sœur de Bouzigue, avait une ambition à la hauteur de ses atouts.
Ma mère écouta avec intérêt le récit de cette traversée mais elle paraissait un peu surprise. Elle dit tout à coup :
« Mais les hommes sont donc si bêtes ?
— Ho ho ! dit Bouzigue, ils ne sont pas bêtes du tout, seulement elle sait y faire ! »
Il ajouta que d’ailleurs, « l’intelligence ce n’était pas tout », et qu’elle « avait un drôle de balcon », et qu’il fallait le voir pour le croire ! Il sortit alors son portefeuille pour nous montrer une photographie qu’il annonça comme étant « très chouette ».
Paul et moi ouvrîmes nos yeux tout grands : mais au moment même où il produisait cet intéressant document, ma mère nous prit par la main, et nous conduisit dans notre chambre.
Les femmes sont toutes des travailleuses du sexe. Selon les conditions de leur époque, de leur milieu, et leur propre attractivité sexuelle, elles peuvent adopter soit des comportements prudes, soit des comportements libertins. En apparence, ce sont des conduites opposées, ce qui induit les hommes à croire qu’il y a des « filles biens » et des « salopes », donc qu’il leur suffira de trouver « la bonne » pour être aimés simplement comme ils sont — comme leur maman les a aimé. Mais le but de ces stratégies sexuelles féminines est le même : obtenir de l’attention, de la sécurité et de l’approvisionnement — et copuler avec un alpha excitant si l’occasion se présente, tant pis s’il disparaît le lendemain.
À ce stade de compréhension, la plupart des hommes choisissent entre une attitude de déni ou une attitude de bouderie :
C’est pas vrai, toutes les femmes ne sont pas comme ça. Et puis elles ont bien le droit. Et puis nous inventons une nouvelle façon d’aimer, tous les quatre.
Tout est foutu. Elles baisent que les giga-chads d’un mètre quatre-vingt-dix-huit. Je vais commander une poupée-robot japonaise super-sexy. Elles le regretteront quand nous aurons des utérus artificiels pour faire des enfants sans elles !
Rien ne me fait comprendre aussi bien le dégoût des femmes pour les jeunes hommes actuels que d’entendre ces derniers étaler leur soumission et leur résignation. Imaginez un instant que vous soyez une femme (« bien », évidemment !), seriez-vous enflammée par l’idée de vous lier à un serviteur bénévole, docile et penaud, autrement que pour l’utiliser comme serviteur ? Et comment trouver excitant un garçon qui recule devant une difficulté sans risque réel — flirter — pour aller se tripoter la nouille en ronchonnant ?
Vous n’avez pas besoin de devenir un milliardaire avec un corps d’athlète et une mâchoire dessinée à l’équerre pour avoir des relations sexuelles et affectives fructueuses. Vous avez besoin :
- D’admettre que votre maman est la seule femme qui peut vous aimer inconditionnellement. Pour toute autre, vous serez soit le meilleur Homme qu’elle puisse espérer (pour le moment), soit un accessoire contribuant à son confort.
- De cesser de courir après les Féliciennes d’Instagram. Préférez plutôt les Augustines de votre quartier, c’est à dire : ajustez vos attentes à votre valeur sur le marché et ayez le sens pratique.
- De ne jamais perdre de vue que votre Augustine est aussi une Félicienne en puissance, selon la perception changeante qu’elle a de sa valeur comparée à la vôtre. Vous pouvez séduire sur un malentendu — c’est même ce qui arrive le plus souvent — mais une fois la relation lancée il faut consolider durablement votre valeur. Sinon elle finira par vous faire cocu avec un type plus intéressant.
- En conséquence, de travailler à maintenir et augmenter votre valeur pour vous même. Carrière, sport, passions, culture, voyages, talents, personnalité, etc. Ne rêvez pas de trucs idiots comme se faire rallonger les jambes de vingt centimètres, c’est aussi con que la poupée-robot et l’utérus artificiel. Les femmes peuvent admirer presque toutes les entreprises masculines si elles sont menées avec enthousiasme — sauf les collections de poupées gonflables et de vaginettes Fleshlight.
- De ne plus sacrifier votre propre intérêt aux désirs d’une femme (surtout si elle n’est pas votre femme). Si vous n’avez pas une grande valeur à vos propres yeux, vous n’en aurez pas non plus aux yeux d’autrui. Le sacrifice de soi, c’est comme la troisième démarque pendant les soldes : c’est le signe que personne ne veut du truc proposé.
- De ne plus vous limiter à une seule relation tant que vous n’avez pas une femme qui vous perçoit comme son meilleur choix à long terme. Faites comme elles : ayez toujours plusieurs options. Un homme capable de dire « non » à sa copine et d’aller en draguer trois autres le lendemain est une perle rare sur le marché. Le courage, voyez-vous, c’est l’autre nom de la virilité.
Foire aux objections
« Mais Tancrède, je ne veux pas faire tous ces efforts pour des meufs qui ne le méritent pas. Je veux une femme traditionnelle, il paraît que ça revient. »
C’est bien de se montrer sélectif, d’avoir des exigences et du goût. Mais le mérite n’a rien à voir là-dedans. C’est l’homme qui mérite (ou pas). Les femmes « méritent » le respect et l’attention par le seul fait qu’elles sont le sexe vulnérable et portent en elles l’avenir de leur famille, de leur peuple et de l’espèce humaine. Vous aurez une femme méritée si vous la méritez, pas si elle vous mérite.
Où avez-vous vu ces fameuses « femmes traditionnelles » ? Sur TikTok, Instagram, YouTube, Twitch, etc. Vous trouvez ça traditionnel ? Ce sont des « influenceuses » comme les autres, elles ont juste choisi la panoplie de la « tradasse » plutôt que le micro-bikini pour plumer les gentils petits canards attirés par les robes à fleur et les tartes aux pommes. Quant aux vraies femmes traditionnelles venues de pays aux mœurs moins libéralisées que l’Occident, elles ne veulent rien de moins qu’un homme traditionnel : solide, indocile, persévérant. Si vous incarniez cela, vous n’auriez pas besoin d’une « trad-wife ». Et vous auriez trop de rendez-vous pour avoir le temps de lire ce billet.