Leçons post-soviétiques pour un siècle post-américain (3)

Au cours des années 2000, quelques auteurs américains bouleversèrent ma vision de l’histoire, de l’avenir et de ma propre situation dans le monde. Parmi ceux-ci, Dmitry Orlov prédisait avec un humour glacial le déclin des États-Unis en comparant leur trajectoire avec celle de l’Union soviétique. La plupart des gens le prenaient pour un affreux farfelu à l’époque. Pourtant, à mesure que nous nous enfonçons dans le siècle du déclin, l’histoire lui donne raison. — TB

Les similitudes entre les superpuissances

Certains trouveraient une comparaison directe entre les États-Unis et l’Union soviétique incongrue, sinon franchement insultante. Après tout, quelle base avons-nous pour comparer un empire communiste raté à la plus grande économie du monde ? D’autres trouveraient comique que le perdant puisse avoir des conseils à donner au gagnant dans ce qu’ils pourraient voir comme un conflit idéologique. Puisque les différences entre les deux semblent criantes pour la plupart, laissez-moi juste indiquer quelques similitudes, dont j’espère que vous ne les trouverez pas moins évidentes.

L’Union soviétique et les États-Unis sont chacun soit le gagnant, soit le second dans l’une des catégories suivantes : la course à l’espace, la course aux armements, la course à l’emprisonnement, la course au titre d’Empire-haï-du-mal, la course au gaspillage des ressources naturelles et la course à la faillite. Dans certaines de ces catégories, les États-Unis ont fait, dirons-nous, une floraison tardive, établissant de nouveaux records même après que son rival fut forcé de déclarer forfait. Tous deux croyaient, avec un zèle étourdissant, à la science, à la technologie et au progrès jusqu’à ce que le désastre de Tchernobyl se produise. Après cela, il n’est plus resté qu’un seul vrai croyant.

Ils sont les deux empires industriels de l’après Seconde Guerre mondiale qui ont tenté d’imposer leur idéologie au reste du monde : la démocratie et le capitalisme contre le socialisme et la planification centralisée. Tous deux ont connu certains succès : tandis que les États-Unis jouissaient de la croissance et de la prospérité, l’Union soviétique parvenait à l’alphabétisation universelle, les soins médicaux universels, beaucoup moins d’inégalité sociale et un niveau de vie garanti — quoique inférieur — pour tous ses citoyens. Les médias contrôlés par l’État se donnaient beaucoup de mal pour s’assurer que la plupart des gens ne réalisent pas à quel point il était plus bas : « Ces Russes heureux ne savent pas à quel point ils vivent mal », a dit Simone Signoret après une visite.

Les deux empires ont saccagé un bon nombre d’autres pays, chacun finançant et prenant part directement dans des conflits sanglants autour du monde afin d’imposer son idéologie et de contrecarrer l’autre. Tous deux ont fait un très grand carnage de leur propre pays, établissant des records mondiaux pour le pourcentage de la population retenu en prison (l’Afrique du Sud fut un rival à un moment). Dans cette dernière catégorie, les États-Unis sont maintenant un succès irrattrapable, soutenant le bourgeonnement d’un complexe carcéro-industriel semi-privatisé (une grande source de travail à salaire de quasi-esclave).

Alors que les États-Unis montraient autrefois bien plus de bonne volonté dans le monde que l’Union soviétique, l’écart entre empires du mal s’est réduit depuis que l’Union soviétique a disparu de la scène. Maintenant, dans de nombreux pays autour du monde, y compris des pays occidentaux comme la Suède, les États-Unis sont classés comme une plus grande menace pour la paix que l’Iran ou la Corée du Nord. Dans la course au titre d’Empire-haï-du-mal, les États-Unis commencent maintenant à ressembler au champion. Personne n’aime un perdant, particulièrement si le perdant est une superpuissance ratée. Personne n’a eu la moindre pitié pour la pauvre Union soviétique défunte ; et personne n’aura de pitié pour la pauvre Amérique défunte non plus.

La course à la faillite est particulièrement intéressante. Avant son effondrement, l’Union soviétique accumulait de l’endettement auprès de l’étranger à un rythme qui ne pouvait être maintenu. La combinaison de prix du pétrole mondialement bas et un pic dans la production de pétrole soviétique ont scellé son destin. Plus tard, la Fédération de Russie, qui a hérité de l’endettement extérieur soviétique, a été forcée de faire défaut à ses obligations, précipitant une crise financière. Les finances russes se sont améliorées plus tard, principalement en raison de l’augmentation des prix du pétrole, ainsi que de l’augmentation des exportations de pétrole. À ce point, la Russie est désireuse d’effacer la dette soviétique le plus vite possible, et au cours de ces dernières années le rouble russe a fait juste un peu mieux que le dollar américain.

Les États-Unis font à présent face à un déficit de la balance courante qui ne peut être maintenu, une monnaie en chute et une crise énergétique, tout à la fois. C’est maintenant le plus grand pays débiteur du monde, et la plupart des gens ne voient pas comment il pourrait éviter de faire défaut sur sa dette. D’après de nombreux analystes, il est techniquement en faillite, et il est étayé par les banques de réserve étrangères, qui détiennent beaucoup d’actifs libellés en dollars et, pour l’instant, veulent protéger la valeur de leurs réserves. Ce jeu ne peut pas trop durer. Donc, bien que l’Union soviétique mérite une mention honorable pour avoir fait faillite la première, l’or dans cette catégorie (jeu de mot intentionnel) ira indubitablement aux États-Unis, pour la plus grande cessation de paiement jamais survenue.

Il y a beaucoup d’autres similitudes aussi. Les femmes ont reçu le droit à l’éducation et à une carrière en Russie plus tôt qu’aux États-Unis. Les familles russes et américaines sont semblablement en mauvaise forme, avec des taux de divorce élevés et beaucoup de naissance hors mariage, bien que la pénurie chronique de logement en Russie ait forcé de nombreuses familles à s’endurer, avec des résultats mitigés. Les deux pays connaissent une dépopulation chronique des régions rurales. En Russie, les fermes familiales ont été anéanties durant la collectivisation, ainsi que la production agricole ; aux États-Unis, une variété d’autres forces ont produit un résultat similaire en ce qui concerne la population rurale, mais sans aucune perte de production. Les deux pays ont remplacé les fermes familiales par une industrie agro-alimentaire insoutenable, écologiquement désastreuse, dépendante des carburants fossiles. L’industrie américaine fonctionne mieux, aussi longtemps que l’énergie est peu chère et, après cela, probablement plus du tout.

Les similitudes sont trop nombreuses pour être mentionnées. J’espère que ce que j’ai souligné ci-dessus est suffisant pour signaler un fait clef : que ceci est, ou était, les antipodes de la même civilisation industrielle et technologique.

Les différences entre les superpuissances : l’ethnicité

Notre croquis miniature des deux superpuissances ne serait pas complet sans une comparaison de certaines des différences, qui ne sont pas moins criantes que les similitudes.

Les États-Unis sont traditionnellement un pays très raciste, avec de nombreuses catégories de personnes dont on ne voudrait pas qu’elles épousent sa fille ou sa sœur, qui que l’on se trouve être. Il a été fondé sur l’exploitation des esclaves africains et sur l’extermination des autochtones. Au cours de ses années de formation, il n’y a pas eu de mariage formel entre des Européens et des Africains, ou entre des Européens et des Indiens. Cela contraste violemment avec d’autres pays du continent américain tels que le Brésil. Jusqu’à ce jour, aux États-Unis, il reste une attitude dédaigneuse envers n’importe quelle tribu autre que les Anglo-Saxon. Vernis d’une couche de correction politique, au moins en courtoise compagnie, cela ressort quand on observe avec qui ces Anglo-Saxons choisissent effectivement de se marier, ou d’avoir une relation.

La Russie est un pays dont le profil ethnique glisse graduellement de principalement européen à l’ouest vers asiatique à l’est. La colonisation par la Russie de son vaste territoire s’est accompagnée de mariages avec chaque tribu que les Russes rencontraient dans leur poussée vers l’est. L’un des épisodes formateurs de l’histoire russe fut l’invasion mongole, qui a résulté en une large injection de sang asiatique dans la généalogie russe. D’un autre côté, la Russie a reçu un bon nombre d’immigrants d’Europe occidentale. En ce moment, les difficultés ethniques de la Russie sont limitées à combattre les mafias ethniques, et aux nombreux petits mais humiliants épisodes d’antisémitisme, ce qui est une caractéristique de la société russe depuis des siècles et malgré laquelle les Juifs, ma famille incluse, se sont très bien portés là-bas. Les Juifs ont été exclus de certains des instituts et des universités les plus prestigieux, et ont été bridés d’autres manières.

Les États-Unis demeurent un baril de poudre de tension ethnique, où les citadins Noirs se sentent opprimés par les banlieusards Blancs [NdT : la banlieue américaine (suburb) est l’habitat des classes moyennes, tandis que le centre-ville (inner city) est celui des pauvres], qui à leur tour craignent de s’aventurer dans des portions majeures des grandes villes. En un temps de crise permanente, les citadins noirs pourraient se soulever en émeute et piller les villes, parce qu’ils ne les possèdent pas, et les banlieusards blancs seront probablement dépossédés de leurs petites cabanes dans les bois, comme James Howard Kunstler les a joliment appelées, et décamperont vers un parc de caravanes. Ajoutez à ce mélange déjà volatil le fait que les armes à feu soient largement disponibles, et le fait que la violence imprègne la société américaine, particulièrement le sud, l’ouest et les villes industrielles mortes comme Detroit.

Bref, l’atmosphère sociale de l’Amérique post-effondrement sera peu probablement aussi placide et amicale que celle de la Russie post-effondrement. Au moins en partie, elle ressemblera plus probablement à d’autres parties de l’ex-Union soviétique, plus mélangées ethniquement, et par conséquent moins chanceuses, telles que la vallée de Ferghana et, bien sûr, ce phare de la liberté dans le Caucase, la Géorgie (ou du moins c’est ce que dit le président des États-Unis).

Aucune partie des États-Unis n’est un choix évident pour qui est préoccupé de survie, mais certaines sont à l’évidence plus risquées que d’autres. N’importe quel lieu avec un passé de tension raciale ou ethnique est probablement dangereux. Cela exclut le sud, le sud-ouest, et de nombreuses grandes villes ailleurs. Certaines personnes pourraient trouver un havre sûr dans une enclave ethniquement homogène de leur propre genre, tandis que le reste serait bien avisé de chercher les quelques communautés où les relations inter-ethniques ont été cimentées par un mode de vie intégré et le mariage mixte, et où l’étrange et fragile entité qu’est une société multi-ethnique pourrait avoir une chance de résister.

Les différences entre superpuissances : la propriété

Une autre différence clef : en Union soviétique, personne ne possédait son lieu de résidence. Ce que cela signifie est que l’économie pouvait s’effondrer sans engendrer des sans-abri : presque tout le monde a continué de vivre au même endroit qu’avant. Il n’y a eu ni expulsion, ni saisie. Tout le monde est resté à sa place, et cela a empêché la société de se désintégrer.

Encore une différence : le lieu où ils sont restés était généralement accessible par les transports publics, qui ont continué de fonctionner pendant les pires moments. La plupart des projets immobiliers de l’ère soviétique étaient centralement planifiés, et les planificateurs centraux n’aimaient pas l’expansion : c’est trop difficile et coûteux à entretenir. Peu de gens possédaient une voiture, et encore moins en dépendaient pour se déplacer. Même les pires pénuries d’essence n’ont résulté qu’en dérangements mineurs pour la plupart des gens : au printemps, elles rendaient difficile le transport des pousses de la ville à la datcha, pour planter ; à l’automne, elles rendaient difficile de rapporter la récolte en ville.

J’étais étonné que, dès qu’on quittait le bord de la ville, avec des barres d’immeubles d’habitation, il n’y avait pas d’étalement périurbain. La campagne arrivait jusqu’au bord de la ville. Cette terre était principalement des fermes d’État, et les gens n’avaient pas le droit d’avoir des parcelles de jardin ici, mais devaient se déplacer plus loin. Dans certains cas, pour avoir une parcelle de jardin abordable, vous deviez prendre le train sur des centaines de kilomètres, mais les trains étaient économiques et fréquents. — Albert Bates
Le fermier qui vivait dans la maison au fond louait sa terre pour des datchas. Cela procurait de la sécurité aux citadins qui venaient à la campagne en fin de semaine. — Albert Bates

Les différences entre les superpuissances : le profil du travail

L’Union soviétique était entièrement autosuffisante quand il s’agissait de travail. Aussi bien avant qu’après l’effondrement, le travail qualifié était l’une de ses principales exportations, avec le pétrole, l’armement et la machinerie industrielle. Il n’en est pas ainsi avec les États-Unis, où non seulement la plus grande part de la manufacture est effectuée à l’étranger, mais un grand nombre de services domestiques sont aussi fournis par les immigrants. Cela joue sur toute la gamme depuis le travail agricole, l’entretien du paysage et le nettoyage des bureaux jusqu’aux professions intellectuelles telles que l’ingénierie et la médecine, sans lesquelles la société se déliterait. La plupart de ces gens viennent aux États-Unis pour profiter du niveau de vie supérieur — pour aussi longtemps qu’il restera supérieur. Nombre d’entre eux retourneront finalement chez eux, laissant un trou béant dans le tissu social.

J’ai eu la chance d’observer un bon nombre d’entreprises aux États-Unis depuis l’intérieur, et j’ai remarqué une certaine constance dans le profil du personnel. Au sommet, il y a un groupe de supérieurs déjeuneurs hautement rémunérés. Ils tendent à passer tout leur temps à se rendre agréables les uns aux autres de diverses manières, grandes et petites. Ils détiennent souvent des diplômes élevés dans des disciplines telles que le papotage technique et le comptage de haricots relativiste. Ils sont obsédés au sujet de l’argent, et cultivent une atmosphère de propriétaires terriens huppés, même s’ils ne sont qu’à une génération de la mine de charbon. Demandez-leur de résoudre un problème technique — et ils objecteront poliment, saisissant souvent l’occasion d’étaler leur esprit par une ou deux plaisanteries d’auto-dénigrement.

Un peu plus bas dans la hiérarchie se trouve les gens qui font réellement le travail. Ils tendent à avoir moins de grâces sociales et de capacités de communication, mais ils savent comment faire le travail. Parmi eux se trouvent les innovateurs techniques, qui sont souvent la raison d’être de l’entreprise.

La plupart du temps, les supérieurs déjeuneurs au sommet sont des Américains de naissance et, la plupart du temps, ceux qui sont plus bas sont soit des étrangers de passage, soit des immigrants. Ceux-ci se retrouvent dans une variété de situations, depuis les détenteurs d’un visa de travail qui sont souvent forcés de choisir entre garder leur boulot et rentrer à la maison, et ceux qui attendent une carte de séjour et doivent jouer leurs autres cartes juste comme il faut, jusqu’à ceux qui en ont une, jusqu’aux citoyens.

Les autochtones au sommet essayent toujours de standardiser les descriptions de poste et de baisser l’échelle salariale des immigrants en bas, les jouant les uns contre les autres, tout en se dépeignant comme des anticonformistes entrepreneuriaux super-efficaces qu’on ne peut cerner dans un simple ensemble d’aptitudes monnayables. Le cas est souvent à l’opposé : les autochtones sont les produits de base, et assureraient des fonctions similaires que leur commerce soit de la biotechnologie ou du poisson salé, tandis que ceux qui travaillent pour eux peuvent être des spécialistes uniques, accomplissant ce qui n’a jamais été accompli avant.

Il n’est pas surprenant que cette situation ait dû se produire. Au cours des quelques dernières générations, les Américains autochtones ont préféré des disciplines telles que le droit, la communication et l’administration commerciale, tandis que les immigrants et les étrangers avaient tendance à choisir les sciences et l’ingénierie. Toute leur vie on a dit aux natifs de s’attendre à une prospérité sans fin, et donc ils se sentent en sûreté en rejoignant des professions qui ne sont que de la broderie sur le tissu d’une société riche.

Ce processus a été appelé la fuite des cerveaux — l’extraction par l’Amérique des talents des contrées étrangères, à son avantage, à leur détriment. Ce flux de matière grise changera probablement de direction, laissant les États-Unis encore moins capables de trouver des manières de faire face à son embarras économique. Cela peut signifier que, même dans les régions où il y aura d’amples possibilités d’innovation et de développement, telles que la restauration du chemin de fer, ou l’énergie renouvelable, l’Amérique pourra se retrouver sans les talents nécessaires pour les faire advenir.

Les différences entre les superpuissances : la religion

La dernière dimension valant d’être mentionnée dans laquelle l’Union soviétique et les États-Unis sont en contraste violent est la religion.

L’aigle à deux têtes de la Russie pré-révolutionnaire symbolisait la monarchie et l’église, avec une couronne sur une tête et une mitre sur l’autre. En plus de ses manifestations quelque peu plus sacrées, telles que son iconographie et sa tradition monastique, l’église russe était bouffie de richesse et d’ostentation, et aussi oppressive que la monarchie dont elle aidait à légitimer le pouvoir. Mais au cours du XXe siècle la Russie a réussi à évoluer d’une manière distinctement séculaire, en opprimant les gens religieux avec l’athéisme obligatoire.

Les États-Unis, atypiquement pour un pays occidental, demeurent un endroit plutôt religieux, où la plupart des gens cherchent et trouvent Dieu dans une église, ou une synagogue, ou une mosquée. Le mouvement précoce des colonies pour quitter le bercail de l’empire britannique a fait des États-Unis quelque chose comme un fossile vivant en termes d’évolution culturelle. Cela se manifeste de certaines façons triviales, telles que l’incapacité de saisir le système métrique (un problème considéré comme presque résolu en Angleterre même), ou la tendance distinctement XVIIIe siècle à faire un fétiche de son drapeau national, aussi bien que sous des aspects majeurs, tels que son adoption plutôt à contrecœur du sécularisme.

Ce que cette différence signifie dans le contexte de l’effondrement économique est, de façon surprenante, presque rien. Peut-être que l’Américain est davantage susceptible de se mettre à citer la Bible et de déblatérer sur l’Apocalypse, la fin des temps et le Ravissement [NdT : rapture, la montée au ciel des bons chrétiens avant la fin du monde]. Ces pensées, ai-je besoin de le dire, ne sont pas propices à la survie. Mais le Russe censément athée s’est avéré aussi susceptible de déblatérer sur la fin du monde et a afflué dans les églises nouvellement ouvertes à la recherche de certitude et de consolation.

Peut-être que la différence significative n’est pas entre la prévalence et le manque de religion mais dans les différences entre les religions dominantes. En dépit de l’ostentation de l’église russe orthodoxe, de la pompe et de l’apparat de ses rituels, son message a toujours été celui de l’ascétisme comme voie de salut. Le salut est pour les pauvres et les humbles, parce que notre récompense est soit dans ce monde soit dans l’autre, pas les deux. C’est plutôt différent du protestantisme, la religion dominante en Amérique, qui a effectué le revirement spectaculaire de considérer la richesse comme un bienfait de Dieu, ignorant quelques remarques gênantes faites plutôt emphatiquement par Jésus et stipulant que les gens riches ont extrêmement peu de chances d’être sauvés. Inversement, la pauvreté s’est trouvée associée à la paresse et au vice, privant les gens pauvres de leur dignité.

Par conséquent, un Russe est moins susceptible de considérer une plongée soudaine dans la pauvreté comme une perte de la grâce divine, et l’effondrement économique comme la punition de Dieu s’abattant sur les gens, tandis que les religions qui dominent l’Amérique — le protestantisme, le judaïsme et l’islam — présentent toutes le succès temporel de leurs fidèles comme une preuve clef que Dieu est bien disposé à leur égard. Qu’arrivera-t-il une fois que la bonne volonté de Dieu à leur égard ne sera plus manifeste ? Il y a des chances qu’ils se fâchent et essayent de trouver quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes à blâmer, ceci étant l’un des mécanismes centraux de la psychologie humaine. Nous devrions nous attendre à voir des congrégations étonnamment furieuses, désireuses de faire le travail d’un Dieu étonnamment furieux.

Les États-Unis ne sont en aucune façon homogènes quand il s’agit de sentiment religieux. Quand on cherche un lieu où s’installer pour survivre, c’est probablement une bonne idée de chercher un lieu où la ferveur religieuse ne va pas jusqu’aux extrêmes.

(Suite…)

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