Une critique de l’Amour au féminin, d’Osalnef

Ces derniers mois nous avons eu le plaisir de publier en six épisodes, sur les Effrontés, le dernier essai d’Osalnef avant son retrait volontaire de l’androsphère. Bien que je partage l’essentiel des opinions d’Osalnef sur les comportements sexuels féminins et masculins, j’aimerais ergoter sur deux ou trois points qui me semblent importants. Voici un résumé des points de consensus :

Osalnef produit une argumentation très rationnelle (très masculine !), soutenue par de nombreuses citations d’études démographiques, psychologiques et anthropologiques. Par exemple, dans la première partie, il décrit l’importance universelle de l’échange « sexe contre approvisionnement » dans les relations femme-homme, et même dans les relations femelle-mâle chez d’autres primates. Pourtant, malgré la solidité des arguments qu’il réunit en faveur de comportements sexuels profondément innés — parfois complétés par l’acquis mais, même ainsi, en réponse à des nécessités pratiques et biologiques impérieuses — Osalnef ne semble pas accepter totalement son propre constat. Comme si les femmes et les hommes avaient collectivement la possibilité de devenir autre chose que ce qu’ils sont. Il arrive que des individus s’écartent spectaculairement de la norme, mais ils sont bien rares, singuliers de tempérament et n’engendrent pas une espèce humaine nouvelle.

Les femmes sont, littéralement, le lieu de la reproduction. Comment pourrait-il être viable qu’elles se sacrifient ? Vu le nombre modeste d’enfants qu’une femme peut porter au cours de sa vie, une communauté humaine qui perdrait une part significative de ses femmes d’âge fertile verrait son effectif baisser dès la génération suivante.

Les hommes, en revanche, sont la variable d’ajustement de la sélection sexuelle. Ils sont sacrifiables par nature, leur rôle physiologique se bornant à porter un échantillon de code génétique parmi tant d’autres. S’ils n’ont pas accès à la reproduction, la frustration les conduit à prendre davantage de risques, jusqu’à avoir une chance de transmettre leurs gènes à la génération suivante. Ils peuvent aussi mourir de cette prise de risque mais, du point de vue de la transmission des gènes, mourir jeune sans descendance parce qu’on a pris trop de risques ou vivre vieux sans descendance parce qu’on n’en a pas pris assez, cela revient exactement au même. Ce qui semble irrationnel à l’échelle individuelle est tout à fait rationnel sur le plan génétique.

Quand, enfin, l’homme a une femme et des petits, son sacrifice (éventuellement physique, mais plus banalement économique) augmente les chances que ses enfants parviennent à la puberté et jouent à leur tour au jeu cruel de la sexualité. S’il n’en est pas convaincu, sa compagne le pense très fort pour lui. Cela aussi se retrouve dans d’autres espèces : la femelle du paon aime avoir un mâle au plumage tape-à-l’œil et au caractère agressif pour qu’il fonce sur le danger pendant qu’elle se carapate avec les petits.

Hommes comme femmes emploient ici une mauvaise stratégie reproductive. Il est préférable de rester en vie avec une chance de se reproduire que de mourir (même au nom de la mère de ses enfants d’ailleurs). À l’inverse, il est préférable de sauver son conjoint et avoir des enfants ultérieurement que de sacrifier son conjoint et élever seule ses enfants.

Osalnef, « L’amour au féminin (1) »

Si c’était une mauvaise stratégie reproductive, ce ne serait pas un comportement universel. Passer du stade de puceau au stade de père de famille coûte énormément de temps et d’efforts. Recommencer à zéro trop facilement serait une stratégie bien incertaine vu la difficulté considérable d’emmener des petits humains jusqu’à l’âge adulte. Le versant « dispersif » du comportement sexuel masculin peut s’exercer dans des relations sexuelles sans lendemain, engendrant occasionnellement un petit bâtard à faibles chances de survie. L’autre versant, celui de la paternité assumée, est plus coûteux mais aussi plus sûr. On peut comparer cela à gagner sa vie en occupant un emploi ou tenter de la gagner en jouant ou en spéculant. D’un côté un investissement patient assorti d’un rendement modéré mais fiable, de l’autre l’espérance de gains faciles et presque illimités mais… terriblement aléatoires.

Pourtant, les anthropologues ont parfois observé la stratégie décrite par Osalnef : le sacrifice des enfants pour préserver les adultes d’âge fertile. Cela arrive quand une communauté humaine subit un stress extrême tel qu’une famine prolongée, une épidémie meurtrière ou une guerre ravageuse. À ce stade, les adultes âgés sont déjà morts et le nombre d’adultes jeunes est réduit. C’est une stratégie désespérée, juste avant la disparition complète de la tribu.

Les hommes renoncent à leurs privilèges naturels pour les femmes. L’inverse n’est absolument pas vrai. Les hommes dépassent leur nature animale, pas les femelles humaines.

Ibid.

Je pense avoir montré succinctement que le sens du sacrifice est une stratégie reproductive valide pour un homme. Il n’y aucun renoncement à l’encontre de notre nature animale dans ce haut degré d’investissement du mâle humain envers sa femelle et sa descendance potentielle. En revanche, cette capacité masculine à travailler, protéger et endurer pour les siens engendre ensuite ces choses merveilleuses : la rationalité, la créativité, le courage, la loyauté. Chez les femmes, les risques de la gestation, le faible nombre de petits et leur durable fragilité engendre l’émotivité et la sociabilité, et vis-à-vis des hommes la duplicité et la sélectivité. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ! Ou presque.

Pour faire simple, les qualités psychologiques, ou plus généralement le caractère que les femmes valorisent chez les hommes, correspondent à des traits optimisant l’acquisition de ressources. L’ambition favorise l’augmentation de statut, de ressources, etc. Et si vous croyez que la gentillesse ou la douceur sont des qualités que les femmes valorisent réellement, alors posez-vous cette question : cette qualité seule a-t-elle déjà suffit à un homme pour se mettre en couple ? Non. La célébrité, la richesse, le statut social ou le charisme, eux, en revanche, le peuvent constamment.

Osalnef, « L’amour au féminin (5) »

C’est tout à fait exact. Et c’est parfaitement logique compte-tenu des besoins reproductifs des femmes. Comme le note Osalnef en disséquant l’étude de Milan Bouchet-Valat sur l’hypogamie très relative des femmes contemporaines de la classe moyenne, la persistance des préférences hypergamiques des femmes durant cette période d’extrême sécurité et d’extrême abondance que vit l’Occident depuis 70 ans montre à quel point ce comportement est profondément enraciné chez elles. Mon regret n’est pas que les relations des femmes avec les hommes fonctionnent ainsi — puisque c’est l’instinct, peaufiné par des centaines de milliers d’années de lutte pour la survie, je l’accepte. Ce qui me peine, c’est seulement que l’on m’ait menti depuis mon plus jeune âge, et avec une constance éhontée, sur ce que serait mon rôle en tant qu’homme adulte. C’est un échec de la société contemporaine, c’est à dire des hommes, seuls capables instinctivement de considérer l’intérêt de l’ensemble de leur peuple et pas seulement celui de leur sexe.

Toi, femme moderne, inutile de blâmer le féminisme, son existence même est le symptôme de ta nature, tout comme l’est ta passivité envers ce mouvement débile.

Osalnef, « L’amour au féminin (6) »

Les femmes ne blâment pas le féminisme, il me semble. Elles blâment les hommes. Quant aux militantes féministes, au lieu de se réjouir de l’émancipation totale des femmes actuelles, elles réclament toujours plus de privilèges, de protection et de subventions pour les femmes — toujours plus de dépendance ! Et pour cause : les hommes résolvent les problèmes des femmes pour accéder à la reproduction et les femmes ont besoin que les hommes résolvent leurs problèmes de sécurité et d’approvisionnement pour ne pas rater la leur. Chacun est câblé pour jouer son rôle en dépit des changements sociaux, comme le chat domestique continue de courir après les souris et le chien d’appartement après les lapins. Les responsables de ce qui ne va pas dans la vie d’une femme, telle qu’elle les perçoit, seront toujours les hommes. Le responsable de ce qui ne va pas dans la vie d’un homme sera toujours lui-même… qu’il le perçoive ou non. Je préfère nettement être un homme !

Cette hypergamie est multidimensionnelle. Elle ne concerne pas que les revenus ou le statut, mais tout aspect d’un partenaire qui pourrait, à terme, lui pourvoir des revenus ou un statut. Ainsi, l’attirance psychologique et physique sont en fait des signes permettant aux femmes de jauger le potentiel hypergame d’une union, quand bien même l’attraction psychologique ou physique ne sont pas intrinsèquement des formes d’acquisition de ressources. Pour les femmes, c’en est. Il n’y a pas plus pragmatique qu’une femme en amour.

Osalnef, « L’amour au féminin (6) »

C’est ici que je vais diverger le plus fortement avec Osalnef : l’attraction des femmes pour des hommes psychologiquement et physiquement dominants obéit à une autre logique que la sélection d’un compagnon capable d’approvisionner confortablement le ménage. Certes, on peut souligner que la capacité de violence fait d’un homme un approvisionneur efficace dans les époques les moins civilisées. Mais la similitude avec un bon citoyen choisi par son épouse pour son statut et ses revenus s’arrête là. Car l’homme intrinsèquement dominant présente des caractéristiques inconciliables avec l’homme-ressource de l’hypergamie :

  • Il déclenche chez les femmes un désir authentique, fort, désintéressé voire imprudent, à l’opposé du comportement de chipoteuse qu’elles servent aux hommes habituellement.
  • Il est sélectionné et coopté par de nombreuses femmes, en dépit de l’impossibilité d’obtenir son attention exclusive.
  • Il est tout à fait similaire aux mâles dominants de nombreuses autres espèces (en particuliers chez les primates) dont les petits peuvent être élevés par leur mère sans approvisionnement supplémentaire.

Je propose d’expliquer la dualité de la stratégie sexuelle féminine ainsi : le désir de s’attacher un homme en raison de son statut économique est une innovation de l’espèce homo sapiens, en raison de la longueur extrême de l’enfance humaine, de sa fragilité et du considérable apport calorique nécessaire à sa survie et à son développement. Il est postérieur et secondaire au désir beaucoup plus courant dans le règne animal d’être fécondée par le mâle le plus dominant possible. En conséquence, il est possible à une femme d’aimer vraiment un homme mais, justement, pas pour son statut. Seulement pour sa capacité à incarner le principe mâle dans son sens le plus primitif : antérieur à la civilisation et antérieur à l’humanité même.

Rien de cela n’apparaît dans les statistiques des mariages et des divorces. Il n’y a nulle comptabilité officielle des soudaines copulations sans préservatif avec un inconnu dangereusement séduisant. Bien sûr, aucune enquête ne fera avouer aux femmes des désirs qu’elles ne comprennent pas elles-mêmes. Quelques études de psychologie comportementale soulignent une attirance féminine étonnante pour les hommes présentant des traits psychopathiques, machiavéliques et narcissiques, mais personne ne veut y croire vraiment. Et même les criminologues stupéfaits par l’hybristophilie de leurs étudiantes font de leur mieux pour ne pas en tirer de conclusions embarrassantes pour les femmes. Ainsi la face cachée de la féminité passe inaperçue aux hommes rationnels armés de leurs télescopes démographiques et anthropologiques. Elle tourne vers eux toujours la même face lumineuse et blanche, pour qu’ils en cartographient les failles les plus tolérables. C’est le hasard qui m’a fait alunir du côté interdit, en fréquentant l’un de ces laboureurs des culs et des cœurs. Dénué d’empathie, égocentrique, manipulateur, maltraitant… sans fric… et pourtant triomphant, ô combien ! Des années après, je suis sûr que ses anciennes conquêtes lui trouvent encore des excuses et regrettent de n’avoir pu l’apprivoiser. Surtout celle qui élève son enfant. Si l’on reprend le critère proposé par Osalnef pour prouver l’existence de l’amour — se sacrifier pour autrui — il faut admettre que cet homme là fut réellement aimé par de nombreuses femmes pour ce qu’il était : un égo sans limites.

  1. Osalnef

    Bonjour,

    Je n’ai pas compris la fin. En quoi ces femmes effectueraient un sacrifice quelconque pour ce belâtre proto-sociopathe ? Elles font simplement un pari inconsidéré : celui de domestiquer un homme trop sauvage pour elles. Dans les faits, elles sont perdantes certes, mais ce n’est en rien un sacrifice résultants de bonnes intentions envers lui, ni même sa descendance. Elles mêmes manquent simplement de domestication et leur « sauvagerie » est simplement plus brute, plus directe que celle de la femme moderne qui la dissimule sans même s’en rendre compte sous des couches superficielles de rationalisation. Elles font simplement preuve d’une intelligence moindre, en aucun cas elles ne dépassent leur animalité comme les hommes le font. Ce n’est pas par amour sacrificiel, mais par bêtise bestiale que certaines agissent ainsi.

    « Il n’y a pas plus pragmatique qu’une femme en amour » ne signifie que les femmes sont parfaitement éclairées à ce sujet, simplement qu’il n’y aucun autre sujet à propos duquel une population est à ce point froid et calculateur.

    Peut-être ai-je mal compris quelque chose.

    • Tancrède Bastié

      Je comprends le sacrifice de soi dans l’amour comme l’adoption de comportements allant contre les intérêts de l’individu, en faveur de l’être désiré. Dans le cas (formidablement gratiné !) que j’évoque, l’homme n’était ni beau, ni grand, ni aisé (il était même franchement fauché), ni talentueux. Et pourtant, en plus de lui offrir leur corps, les femmes se sont dévouées pour lui : l’une lui a procuré un appartement dans un quartier chic de la capitale, une autre a travaillé gratuitement pour lui, etc. D’habitude, ce sont les hommes qui pourvoient ! Et pour le coup, je ne trouve pas qu’elles fassent preuve d’une intelligence moindre. La plupart des hommes font exactement cela avec les femmes qu’ils aiment, et souvent avec aussi peu de résultat.

      Je ne crois pas que les hommes dépassent leur animalité par le sacrifice. Le sens du sacrifice est en nous pour des raisons animales (comme chez les mâles de tant d’autres espèces). C’est ce sens naturel du sacrifice, joint aux atouts cognitifs de l’espèce humaine, qui engendre ensuite l’extraordinaire dépassement des considérations immédiates de survie et de copulation.

      Enfin, j’ajouterais que les femmes se montrent calculatrices envers les hommes parce qu’ils ne leur causent généralement pas de désir authentique. Faute de désir, elles évaluent le pour et le contre. Dans le cas des « alphas naturels » (le champion que j’ai décrit et d’autres que j’ai pu observer), pour peu que la rencontre survienne en période d’ovulation, elles perdent toute faculté de jugement et cèdent à un désir d’autant plus violent qu’il est bien moins fréquent que chez les hommes.

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